Le rôle des banques suisses pendant la Seconde Guerre mondiale n’a jamais cessé de susciter des interrogations et des controverses. Celles-ci ont été alimentées dès la fin de la guerre par le fait que les belligérants et en particulier les puissances de l’Axe avaient largement bénéficié des services des banques suisses. De plus, la place financière suisse a connu, avant et pendant la guerre, un essor qui contraste avec le sort tragique de tant de pays. Pour nous parler du travail de mémoire encore inachevé découlant de ces événements, nous avons invité pour notre conférence du 10 mars Monsieur Marc Perrenoud. Cet historien est un spécialiste reconnu de l’histoire suisse autour de la Seconde Guerre mondiale et des relations extérieures de la Suisse sur le plan économique et financier. Auteur de nombreux travaux sur ce thème, il a aussi été conseiller de la Commission indépendante d’experts (commission Bergier) chargée d’enquêter sur l’affaire des fonds en déshérence, ainsi que sur la politique d’asile de la Suisse et ses relations économiques et financières avec le Troisième Reich. Jusqu’à sa retraite en 2021, il a été chercheur au service historique du Département fédéral des affaires étrangères.
Dans un exposé remarquable et qui a suscité des nombreuses questions, Marc Perrenoud a évoqué les relations multiples entre banques suisses et belligérants. En temps de guerre, le franc suisse était pratiquement la seule monnaie librement convertible. Pour le Troisième Reich, l’accès à la devise helvétique par l’intermédiaire des banques suisses était donc essentiel, sans compter les crédits importants consentis par la Suisse aux pays de l’Axe. Or dès lors que la perspective d’une défaite du Reich se précisait, la Suisse et ses banques essuyèrent de la part des Alliés de sévères critiques au sujet de ces relations fort profitables à l’Allemagne nazie. Dans l’immédiat après-guerre, la nécessité d’un travail historique sur le rôle de la place financière se fit plus pressante. Cette démarche connut des péripéties diverses, entre les exigences de la science historique indépendante et le désir des acteurs institutionnels de clôturer ce chapitre de l’histoire suisse avec un message rassurant.
Avec la guerre froide, les critiques des Alliés retombèrent. La pression sur les banques suisses pour clarifier leur attitude pendant la guerre s’amoindrissait, donnant à certains l’impression que le débat était clos. Pourtant dans les années 1990, après la chute de l’URSS, ces questions refont surface, de nouvelles archives deviennent accessibles ou ressortent de l’oubli. Les débats se portent vers les fonds en déshérence appartenant à des victimes du nazisme et détenus par les banques suisses. Avec la création de la Commission Bergier en 1996, les investigations concernent aussi les ventes d’or issu des spoliations nazies dans les pays vaincus, ventes effectuées par la Reichsbank à destination de la Banque Nationale suisse et qui se sont poursuivies jusqu’aux dernières semaines de la guerre.
Vingt-trois ans après la dissolution de la Commission Bergier, la connaissance historique des relations entre la Suisse et le Reich allemand a beaucoup progressé, dans le sillage des travaux de la Commission et de ceux des chercheurs suisses et étrangers. Pourtant de nombreuses zones d’ombre subsistent et cela d’autant plus que l’accès à certaines archives reste difficile dans notre pays. Marc Perrenoud compare la situation à un iceberg. Les archives publiques sont ouvertes aux chercheurs, tandis que la partie immergée de l’iceberg, à savoir les archives privées, est à la fois plus volumineuse et moins accessible. En Suisse, l’ouverture partielle d’archives privées dont ont bénéficié les membres de la Commission Bergier était temporaire et limitée. Cela a compliqué la poursuite des recherches, contrairement aux usages universitaires qui présupposent l’accès libre et permanent aux données.
Connaissance 3