C’est avec l’accord de Monsieur Vincent Gremaud, du journal Agri, hebdomadaire professionnel agricole de la Suisse romande, que je demande à la rédaction de notre Feuille d’avis de la Vallée de Joux, la publication de l’article-interview ci-dessous, paru récemment dans ledit journal Agri.
Je souhaite à chaque abonné, fidèle à notre journal local, une lecture attentive, dans le but de s’approprier et d’intégrer les conclusions de Monsieur Marcel Züger, biologiste de terrain avec une longue expérience.
Je vous adresse à toutes et à tous mes meilleurs messages pour ces fêtes de fin d’année.
Et pour l’an prochain, je retiendrai un seul de mes vœux: que des décisions et des actions fortes soient mises en œuvre pour une régulation stricte de ce magnifique animal qui n’est pas du tout menacé d’extinction, tout ceci par respect pour le travail de nos paysans-éleveurs, alpagistes et autres bergers.
Notre région et notre pays n’ont pas (plus) les espaces pour accueillir ce grand prédateur. Il bénéficie toujours de l’immensité d’autres territoires adaptés à son développement…
Michel Meylan/Mayü, Le Solliat
Interview du biologiste Marcel Züger
Sur invitation de la Communauté d’intérêt du Bœuf de pâturage bio (CI BPB), le biologiste MARCEL ZÜGER a tenu, le 23 novembre 2022, une conférence sur le thème du loup. Son discours détonne parmi les défenseurs de l’environnement (photo DR).
Biologiste et actif dans les milieux de l’environnement, vous étiez initialement partisan d’un retour du loup en Suisse. Pourquoi avez-vous changé d’avis?
Effectivement, en 2012, lorsque les premiers louveteaux sont nés dans la meute de Calanda, j’étais ravi et, en tant que biologiste, fasciné que cela soit possible. J’avais une autre image du loup. Je pensais qu’il était relativement facile de protéger les troupeaux et de cohabiter avec le loup. Mais au contact des agriculteurs et des alpagistes de ma région, je me suis rendu compte de la réalité. J’ai changé d’avis il y a environ 5 ans quand j’ai compris que l’évolution du nombre d’individus et la capacité d’adaptation et d’habituation allaient poser de sérieux problèmes.
En tant que biologiste, comment comprenez-vous que le loup soit protégé par la Convention de Berne alors que sa population augmente?
Effectivement, au niveau mondial ainsi que dans toute l’Europe centrale, le loup gris n’est plus menacé d’extinction. Il faut savoir que la Liste rouge des espèces menacées est mise à jour régulièrement par la communauté scientifique. Pour ce qui est de la Convention de Berne, signée en 1979, cela prend plus de temps de l’adapter. Dans le cas du loup, c’est problématique parce que le nombre d’individus augmente très rapidement dès qu’il trouve de la nourriture en abondance. C’est le cas en Suisse: il y a partout une faune sauvage ainsi que des troupeaux d’animaux de rente. Comme il est totalement protégé, il risque de coloniser l’ensemble du pays. Il est urgent de revoir le degré de protection du loup en Suisse.
Lors de votre conférence, vous avez affirmé que le retour du loup n’était pas une bonne nouvelle pour la biodiversité. Qu’entendez-vous par là?
L’influence négative du loup sur la biodiversité est double. D’une part, les mesures de protection posent problème. Les clôtures empêchent les chevreuils, les renards et d’autres animaux de se déplacer et les chiens de protection ont un effet répulsif sur la faune. Ils peuvent même avoir des comportements de prédation sur le lagopède alpin, le tétras-lyre ou le lièvre variable. Certains de ces animaux sont davantage menacés que le loup. D’autre part, le grand prédateur remet en cause l’agriculture extensive de montagne, qui entretient des surfaces marginales, en pente, avec une importante diversité de la faune (abeilles sauvages, papillons et autres insectes) et de la flore. En Suisse, nous avons 70’000 ha de prairies et pâturages secs (PPS), dont 62% sont pâturés. Si l’exploitation de ces surfaces est abandonnée à cause du loup, cela représentera une énorme perte pour la biodiversité. Je plaide en faveur d’une protection de la nature, et pas seulement du loup.
Est-ce l’ensemble du pastoralisme et de l’économie alpestre qui est menacé par le retour de ces prédateurs?
Aujourd’hui, chaque loup coûte entre 100’000 et 150’000 fr. par an aux collectivités publiques et entre 50’000 et 150’000 francs par an aux privés et en premier lieu aux agriculteurs. Ce n’est pas tenable pour ces derniers. S’ils abandonnent l’exploitation de certaines surfaces, c’est l’ensemble de l’économie des régions de montagne qui sera remise en cause. L’intégralité du paysage culturel alpin est menacée. L’évolution actuelle du loup dans notre pays est contraire à chacune des trois dimensions de la durabilité. La colonisation du territoire suisse à large échelle par les loups n’est durable ni socialement, ni économiquement, ni écologiquement.
Les mesures de protection ne représentent-elles donc pas une solution?
Outre les problèmes environnementaux et économiques que soulèvent tant les clôtures, les parcs de nuits que les chiens, il faut se rendre à l’évidence qu’il n’existe aucun moyen de protection efficace. Le loup est intelligent et il est capable de déjouer toutes les mesures grâce à ses exceptionnelles capacités d’accoutumance, d’adaptation et d’apprentissage. Quelle qu’elle soit, une mesure de protection n’est efficace que tant que le voisin protège moins bien ses propres animaux. Le loup s’attaque toujours au maillon le plus faible, mais rien ne l’arrête, même pas la présence humaine.
Bon nombre de défenseurs du loup prétendent que l’homme ne risque rien. Vous n’êtes pas d’accord…
Clairement non. Je suis convaincu que ce n’est malheureusement qu’une question de temps pour qu’un incident se produise en Suisse. A l’étranger, notamment en Turquie, en Iran, en Inde ou en Ukraine, il a été démontré que le loup peut blesser voire tuer des êtres humains. D’après ces expériences, nous savons que ce sont les enfants entre 3 et 6 ans qui sont les plus en danger. Il faut aussi relever que des tirs de régulation permettent d’entretenir chez les loups une crainte de l’homme qui les rend timides. Cela permet non seulement de diminuer le risque de rencontrer un loup, mais cela rend aussi les mesures de protection des troupeaux plus faciles et plus efficaces.
Une cohabitation entre l’être humain et le loup semble donc difficile. Prônez-vous une éradication pure et simple du canidé en Suisse?
Je vois cinq conditions à une cohabitation. A mon avis, il faut une communication transparente, une prise en charge de l’ensemble des frais, une tolérance zéro pour les individus qui posent problème, une limitation des populations de loups et la séparation des zones de pâture et des «zones à loups», dans lesquelles la présence d’une meute serait tolérée, mais régulée. Une cohabitation avec le loup n’est possible qu’avec ces strictes conditions. Nous ne savons pas si cette solution fonctionne. Mais nous savons que toutes les autres tentatives de cohabitation sont des échecs pour le paysage culturel.
Dans un tel système, combien de loups la Suisse pourrait-elle accueillir?
J’estime que nous pourrions supporter jusqu’à 10 meutes d’une dizaine d’individus chacune. Ces meutes devraient être réparties sur tout le pays, y compris le Plateau. Actuellement, la Suisse compte déjà deux fois plus de loups et sans régulation, notre pays pourrait accueillir à terme jusqu’à 150 à 200 meutes, soit près de 2000 loups!
Propos recueillis par Vincent Gremaud, le 2 décembre 2022.
Avec l’aimable autorisation de M. Vincent Gremaud, Agri, hebdomadaire professionnel agricole de la Suisse romande