Paul Hugger, né le 9.02.1930, est décédé le 1.09.2016. Professeur, il œuvra avec succès dans le domaine de l’ethnologie où il rompit avec l’approche traditionnelle. En cette discipline, il laissa des ouvrages nombreux et d’importance, comme par exemple, en trois gros volumes parus en 1992 aux Editions Payot, Les Suisses, Mode de vie, traditions, mentalités.
Paul Hugger fut par ailleurs le grand maître du tome 10 de l’encyclopédie vaudoise publié en 1982. Il est noté en tête de l’ouvrage: Paul Hugger, professeur d’ethnologie européenne à l’Université de Zürich; conception du volume, enquêtes personnelles, choix des témoignages et synthèse d’une enquête auprès de 348 habitants du Canton de Vaud groupés par région.
Il est possible que les enquêtes concernant La Vallée figurent dans les archives propres à l’Encyclopédie. Celles-ci sauf erreur déposées aux ACV.
L’itinéraire de cet homme hors du commun nous laisserait peut-être indifférent si, après avoir passé la première partie de sa vie en Suisse allemande, enseignant de Bâle à Zürich, il n’avait pas bientôt choisi de s’installer dans notre bon canton de Vaud, à Chardonne. Et si ce nouvel établissement, dans une région aussi bénie des dieux, n’avait pas été propre à donner des ailes à son inspiration, et à lui permettre, si ce n’était pas déjà fait, d’offrir à ce canton ces diverses publications que l’on consulte encore aujourd’hui avec plaisir.
En «rebouillant» dans les brochures proposées jadis par la Société suisse des traditions populaires, dans la série des vieux métiers, on découvre que plusieurs numéros sont de sa plume. Relevons:
Fascicule 23: Une huilerie vaudoise, 1969
Fascicule 26a: La fromagerie d’alpage dans le Jura vaudois, 1971
Fascicule 28: Les sangles à vacherin (Vallée de Joux), 1971.
Signalons qu’à chacune de ces publications correspondait un film noir/blanc, malheureusement toujours muet. Chose tout à fait incompréhensible en une époque somme toute récente et où nos cinéastes étaient déjà en possession de techniques de sonorisation sophistiquées. C’était un peu comme si les différents bruits que l’on pouvait entendre dans chacun de ces métiers ou chacune de ces pratiques, de même pour les propos des intervenants ou leurs exclamations, n’étaient pas aussi vitaux que les images elles-mêmes. Ce bémol d’importance mis à part, cela reste de beaux documents qui ont été mis sur cassette et puis sur CD, tout matériel dont malheureusement la trace n’est pas déterminée avec précision.
A propos de cette production cinématographique, précisons que Paul Hugger a dirigé la section film de la Société suisse des traditions populaires de 1962 à 1979. C’est à partir du fascicule 26a que Paul Hugger fit du monde des alpages son terrain de chasse privilégié, si l’on peut dire. Il avait déjà donné une étude solide avec cette publication, qu’il va amplifier pour sortir bientôt, en 1972, «Hirtenleben und Hirtenkultur im Waadtländer Jura». C’est là un véritable monument, de type universitaire, avec système référentiel très développé et une longue bibliographie.
Bertil Galland, bien introduit aux Editions 24 Heures, repéra l’ouvrage et prit conscience de sa haute valeur culturelle et ethnologique. Avec l’accord et l’aide de l’auteur, il prépara une version française de l’œuvre qui parut aux éditions précitées sous le titre de: Paul Hugger, Le Jura vaudois, La vie à l’alpage. Cet ouvrage, sous belle couverture illustrée représentant le vallon des deux Prés de l’Haut au soleil levant, avec un léger brouillard couvrant encore le bas du pâturage, fut un succès. Ce livre se trouve encore facilement dans les brocantes et foires aux livres.
La vie alpage, que voilà un sujet capable de passionner les foules, combières en priorité, alors que le thème n’avait été traité que de manière superficielle par nos différents auteurs, exception faite pour René Meylan et Auguste Piguet, dont les ouvrages restent aussi référentiels. Paul Hugger, pour mieux appréhender l’ambiance de ce milieu d’économie alpestre, sillonnera la région dans tous les sens, passant auprès de chaque chalet qu’il photographia sous tous les angles en même temps que portant intérêt aussi à l’intérieur et à l’éventuel matériel de fabrication encore en place.
L’ouvrage aura un retentissement perceptible bien au-delà de nos frontières, puisque désormais on le retrouve cité même dans les bibliographies alpestres des zones frontières françaises. Un classique, quoi!
Le chalet choisi pour l’essentiel de la description de cette vie à l’alpage, avait été celui du Pré d’Etoy. En 1970, époque du gros de l’enquête de Paul Hugger, on y fabriquait encore le fromage selon les modes ancestraux. C’était par ailleurs, construit en 1750, l’un des plus anciens chalets de la zone du Mont-Tendre, avec tout le mobilier et le matériel ancien, si ce n’est tout de même que le fer blanc ici comme ailleurs avait, et depuis longtemps déjà, remplacé en grande partie les ustensiles de bois. Néanmoins pour la fabrication elle-même, on s’en tenait encore à la tradition, grosse chaudière amovible pendue à sa potence, creux de feu, grande cheminée, etc… Et bien entendu sur les poutres, les inscriptions parfois un peu désabusées des cent bergers qui avaient passé par là au cours de plus de deux siècles.
Ce chercheur passionné, en même temps que ce randonneur infatigable, allant d’un chalet à l’autre, avait eu l’occasion de découvrir celui où notre père demeurait à l’époque à titre de berger. Celui-ci nous avait dit un jour:
– J’ai vu passer hier en fin d’après-midi, un drôle de bonhomme. Avec des lunettes à soleil et déjà à moitié chauve. Il enquête sur les chalets.
– Et que t’a-t-il demandé?
– Oh pas grand-chose, il s’est juste intéressé à la romaine que l’on servait pour peser les fromages. Et puis à la date de construction du bâtiment. Il a eu vite fait le tour.
Dans un ouvrage mis sur pied plus tard par le soussigné et soumis à notre ethnologue, sa rencontre quelque peu avortée avec notre père, signalée noir sur blanc dans le corps du texte, l’avait interpelé en même temps qu’il en avait été amusé. Il reconnaissait, il est vrai, qu’il n’avait pas toujours eu le temps d’approfondir ses visites, et que souvent, il passait devant l’une ou l’autre de ces bâtisses d’alpage en coup de vent, juste le temps de quelques photos et puis au suivant. Car l’attendaient quelque deux cents chalets positionnés sur une vaste surface allant de la région de Grandson à la Dôle, sans oublier les contrées françaises limitrophes.
Paul Hugger, responsable et même créateur de la collection «Ethno-Poche», allait y intégrer «L’heure du berger». Ce récit correspondait à ses critères «ethnologiques». Il est bien évident que cette publication «confidentielle» ne pouvait rivaliser avec la grande œuvre qu’était La vie à l’alpage, référence désormais assurée.
Paul Hugger s’est donc penché avec intérêt sur notre Haute Combe, et c’est la raison pour laquelle nous lui témoignons ici toute notre reconnaissance. Nous garderons de lui le meilleur des souvenirs.
Signalons encore en passant un petit fait qui expliquera la manière dont était perçu notre chercheur par le «petit peuple». Paul Hugger avait acquis une maison dans le sud de la France. Il disait lui-même:
– Je n’ai jamais pu vraiment fraterniser avec les indigènes voisins. Ils m’aimaient certes bien, ils me témoignaient leur respect, mais vu qu’ils savaient que j’étais professeur, ils se défiaient de moi. Ils ne se sentaient pas du même milieu et restaient sur leur garde.
Ainsi se superposent sans parfois interférer de manière profonde les différentes couches sociales. D’aucuns n’auront aucune peine à trinquer avec les plus petits d’entre les hommes, considérant que tout un chacun peut être mis au même niveau, d’autres, et sans le vouloir vraiment, de leur fait ou de celui des interlocuteurs, garderont leurs distances.
Ce qui n’empêcha nullement Paul Hugger de s’intéresser avec passion à ces petites gens, et de les honorer autant qu’il le pouvait dans l’essentiel de ses publications, considérant que c’étaient eux plus que d’autres qui avaient véritablement façonné ce monde où nous vivons!
R. Rochat