On est accueilli à six en ce début d’octobre 2024 dans l’antre fabuleux de Yvan Caillet. Celui-ci est un passionné de vieilles voitures depuis la nuit des temps. La visite se révélera passionnante, un peu hors du temps en ce monde mécanique que d’ordinaire l’on ignore. Le propriétaire et guide tout en même temps, se révèle un cicérone de haute lignée. Dans un domaine familier où il navigue depuis 1991, le Maître en aurait à dire pendant des heures. Il a un accent combier à couper au couteau, une barbe de vieux grognard et une démarche désormais un peu difficile qu’il doit à une ancienne blessure faite en vélo. Et bien entendu il vous offre à pleines louchées ses réparties parfois un peu cinglantes quand vous faites une erreur en croyant en savoir plus que lui, ou que vous ne l’écoutez plus, accaparé que vous êtes par un objet singulier de sa très étonnante collection. Un vrai musée ! Mais halte-là, on ne touche pas !
Les voitures préférées de notre collectionneur passionné et muséographe régional sont les Panhard. Il en possède plusieurs dont pour lui la plus attachante, un modèle fabriqué en alu. Les constructeurs à la sortie de la guerre avaient voulu proposer une voiture peu chère et donc accessible au maximum de futurs automobilistes. Leur réclame : 5 CV, 5 places, 5 litres ! Elle ne pèse guère plus de 600 kg. En complément l’on apprendra que la marque Panhard fut la première au monde à proposer des voitures en série, 35 pour l’année 1892. Ah ! ces Français !
Yvan Caillet nous détaille chaque voiture. Dont il connaît tout, la mécanique, la puissance, les caractéristiques, l’histoire. Il a travaillé sur chacune, tant au niveau du moteur que de l’habillage. Il les fait toutes fonctionner deux fois par mois, histoire d’en contrôler le bon état de marche en même temps que de goûter au plaisir d’entendre le doux bruit de ses moteurs qu’il a tous révisés de fond en comble.
On se promène donc dans cette exposition où les voitures, plus d’une vingtaine, sont collées les unes contre les autres. On admire. On écoute les propos du maître. Attention, on ne touche pas ! Il fit un apprentissage de mécanicien de précision chez un Rochat des Bioux. Et puis après, allez, c’est l’hiver en usine, et l’été en vadrouille par le monde où il a travaillé en maints endroits et parfois parmi les plus insolites. Il s’est engagé par exemple sur l’autoroute Lausanne-Genève – l’expo n’est pas loin – il a connu les usines du Creusot où il a participé au tournage d’un vilebrequin de bateau de 14 tonnes et qui, dit-il, ferait la longueur complète de son musée. En fait Yvan Caillet, en tous temps et en tous lieux, s’est montré capable de passer du plus petit au plus gros. Il a travaillé vingt ans pour Sbarro de Grandson qui n’eut garde qu’il devait nombre des pièces de ses fabuleuses voitures à un Combier ! La gloire, ça ne se partage pas. Mais notre Yvan Caillet n’est pas de ceux-là. Il le répète, c’est la passion qui compte, et pas l’intérêt financier ni la gloire non plus.
Une voiture d’exception serait à l’extérieur et sur laquelle il roule encore. Il s’agit – si l’on a bien écouté la leçon, attention, pas d’égarement ! – d’une Peugeot 504 ayant appartenu au capitaine du paquebot France, légende de la flotte française qui n’eut que le tort pour être rentable et durer longtemps, d’arriver un peu trop tard dans l’histoire maritime. L’aéronautique faisait désormais une concurrence impitoyable à la marine.
Des histoires, Yvan Caillet en a plein sa besace. Et surtout n’allez pas lui apprendre quoi que ce soit de ce monde presque insensé de la voiture où l’on ne parlera pas dans les musées de tous ceux qui ont perdu leur vie sur les routes. Comme cet illustre Camus qui se tua au terme d’un parcours insensé à bord d’un bolide dont on trouve un autre exemplaire dans la collection.
On l’écouterait longtemps, notre Yvan. Une photo de lui, exceptionnelle, figure sur un meuble au fond de la salle. Elle exprime de manière parfaite ce qu’il est, ce en quoi il croit, ce que sera encore son avenir dans son monde aimé de la mécanique. Elle exige que nous la reproduisions. Merci à l’auteur et nos excuses de lui voler un sujet remarquable : le tsar Yvan ! Ce Combier pur jus qui aime chatouiller sans vouloir forcément l’être lui-même en retour !
Mais il n’y a pas que les voitures, grandes ou petites, celles-ci étant près de 2800, dans l’antre du vieux solitaire : un bob pendu au plafond, un sac à poil, des raquettes, des patins, des skis. On découvrira même à proximité, soigneusement disposé sur le rayon d’une vitrine, un service à thé des Romanov ou des coquetiers d’argent qui pourraient bien avoir appartenu, qui le sait, à Marie-Antoinette !
Yvan Caillet, qu’il vous faut absolument rencontrer, tout l’intéresse. Pourquoi ? Il l’explique. Ceux qui ont produit ces objets, l’ont fait avec soin et conscience. Il convient donc de les respecter. Le culte de l’objet, le respect de la main de l’homme, et pour lui, un génie incontestable qui ne restera malheureusement jamais que personnel. Car qui saurait le remplacer, non seulement dans la fabrication des pièces manquantes d’une voiture ou d’un objet quelconque, mais surtout comme gardien de cet antre unique, véritable institution.
Une pièce encore à remarquer, un petit side-car tout métal que notre hôte avait fabriqué à l’âge de six ans. C’est dire son incroyable précocité.
Au fond de la pièce toujours, encadrée, une lettre :
Monsieur,
Fan de belle mécanique et admirateur enthousiaste notamment des gens de votre trempe, permettez-moi de vous témoigner toute mon admiration et mon immense respect pour votre formidable carrière au plus haut niveau.
Vous faites honneur à notre pays et votre région en particulier. Vous êtes un exemple pour des milliers d’admiratrices et d’admirateurs de par votre talent et votre immense gentillesse (Champion du monde de la gentillesse).
Ces mots chaleureux concluront notre visite. Précisons que vous pourrez retrouver de nombreux articles sur le musée de l’automobile Caillet sur internet, ainsi que deux films fort sympathiques qui lui rendent un très bel hommage. Et bien entendu vous ne manquerez pas de faire une visite à ce musée local. C’est à deux pas de chez vous !
Patrimoine Vallée de Joux