4e partie: Une commune, perte d’identité
– Ben voilà… perte d’identité culturelle totale. Plus de lieu propre qui vous lie à votre origine. D’ailleurs, vous serez originaires d’où, finalement ?
– Les élus du Chenit (exécutif et législatif) avec ceux du Lieu et de l’Abbaye, ont accepté, par vote, le projet de convention de fusion des trois communes. Fusion sans laquelle la Vallée court quasiment à sa perte, assurent-ils. Ben si ce projet aboutit, j’irai au contrôle des habitants du Che… de la nouvelle commune afin de changer ma carte d’identité. Etant donné que je n’aurai plus de lieu d’origine combier, et nous tous originaires d’une des trois communes, je serai, nous serons tous des « apatrides communaux ». Dès lors, sous la rubrique « Lieu d’origine » de la carte d’identité, je ferai inscrire : HEIMATLOS, apatride, en français ! Et non pas Vallée de Joux, comme ça a été décidé.
– De diou, de diou, t’y vas sec. Mais j’te comprends. Et les armoiries de cette nouvelle… entité ? Elles sont déjà connues ?
– M’en parle pas. Ouais, on les a vues lors d’une séance d’information à la Bobine, notre salle de cinéma au Sentier. Elles sont Insignifiantes, plates, sans éclat, ne parlent pas, ne soulèvent pas la moindre émotion. Je ne me souviens pas de son descriptif héraldique. En gros, un écusson un tiers bleu en bas (le lac, peut-être), deux tiers blanc (la neige, peut-être, mais y’en a plus), fond blanc sur lequel reposent trois roues vertes (les anciennes communes, peut-être), dentelées et entremêlées.. Ce qui est sûr, je ne pendrai jamais cet écusson à mon rétroviseur, pas plus qu’à mon porte-clés.
– J’essaie de me représenter ces armoiries. Et d’après ce que tu me dis, je vois pas le rapport avec la Vallée… à part le bleu du lac. Mais ces roues sur du blanc… horlogerie, micromécanique? En tout cas, rien qui fait référence à l’histoire de la Vallée. Ça m’a l’air un peu loupé.
– C’est le moins qu’on puisse dire. Et y a encore autre chose. Le canton de Vaud compte huit fractions de commune, dont sept à la Vallée. Tu sais ce que c’est ?
– Non, pas vraiment.
– Nos villages, qui ne s’entendaient pas forcément bien avec les communes et entre eux ont décidé de s’instaurer en entité politique. A la fin du XIXe siècle siècle et au début du XXe siècle, par décret, le Grand Conseil a reconnu les villages en tant que fractions de commune. Ça leur permettait de résoudre des problèmes tels que les ressources financières, l’éclairage, l’eau, la voirie, etc. Cette division politique existe toujours aujourd’hui avec d’autres dicastères tels le parc immobilier, les espaces verts alors que l’eau et la voirie sont déjà du ressort communal. L’exécutif est assuré par un conseil administratif, soumis directement à la juridiction du Préfet, et le législatif par un conseil de village. Et les villages, qui prélèvent des impôts, affichent une certaine fierté de pouvoir ainsi gérer leurs affaires courantes.
– C’est comme l’horlogerie, vous aimez bien ce qui est compliqué… Mais c’est intéressant, comme particularité. Et cette huitième fraction de commune, elle est où ?
– Pas loin d’ici, c’est le village de la Coudre, juste en-dessous de Mont-la-Ville. Et à la Vallée, si cette convention de fusion aboutit, c’est la fin des villages/fractions de commune. Pas tout de suite, bien sûr. Le canton et les Municipalités affirment que non, que rien ne va changer de ce côté-là. Mais noyés dans la grande nouvelle commune, ils vont petit à petit perdre de leur poids et n’auront plus qu’à la boucler. Pour te dire, une des premières conséquences annoncées, c’est la reprise par la commune aux villages de l’éclairage public. Tu sais maintenant pourquoi il faut voter non à cette convention de fusion. Et le 22 septembre prochain, OUI aux trois communes, NON à la commune de la Vallée de Joux. Bon, j’arrête de t’abreuver de paroles pour m’abreuver moi. De tant parler, j’ai la luette qui colle et la langue sèche. J’humecte un coup la membrane. A la tienne…
– A la tienne… Passe bien, çui-là… Ben j’t’avoue que si j’étais d’ici, avec c’que tu viens de me raconter, je voterais NON… le 22 septembre, tu dis ? Et même plutôt deux fois qu’une…
– Tu me fais plaisir. Mais notre boulot, c’est de convaincre les gens d’ici, surtout ceux qui n’osent pas dire ouvertement leur position, les « chais, pas », les « faut voir », les « m’en fous », vois-tu… Y’a d’la besogne, mais faut y croire et on va y arriver. Et vivent les trois communes !
– … et les deux bouts…
– Comme tu dis. T’as tout compris.
Jean-François Aubert
Lire aussi sur le site internet : www.pourles3communes.ch
Sources :
Le langage combier (Charles-Hector Nicole)
Wikipédia (Vallée de Joux, l’Abbaye, Le Chenit, Le Lieu)