Avec l’accord du «Journal de l’entraide familiale vaudoise » voici un article paru au mois de juin que je souhaite partager avec vous.
NUMÉRIQUE Les effets néfastes d’un usage immodéré des écrans sur la santé sont multiples et avérés mais la grande désintoxication n’a pas commencé pour autant…
En Suisse, les 12-19 ans passent 3 à 5h par jour sur internet d’après l’étude James 2022. Cela n’est très bon ni pour la santé ni pour leur développement. Prise de poids, maux de dos, problèmes oculaires, troubles du sommeil, du langage et du comportement…
« La fabrique du crétin digital » est l’un des premiers livres à avoir révélé l’étendue du désastre. Ce best-seller culte, paru en 2019, mettait les pieds dans le plat à une époque où l’enthousiasme béat vis-à-vis du digital était encore la norme. « Les études scientifiques montrent clairement qu’il y a des effets délétères sur le développement, sur la cognition, sur le langage, sur l’intelligence et les résultats scolaires », résume Michel Desmurget son auteur. Le Français est docteur en neurosciences et directeur de recherche à l’INSERM. Pas franchement un crétin ni un vieux con technophobe donc !
Des pratiques très addictives
En mars, l’ouvrage collectif « Humanité et numérique – Les liaisons dangereuses » invitait à « ouvrir les yeux sur la face obscure des nouvelles technologies » arguant qu’« il en va de l’avenir de l’Humanité »… Il est d’ailleurs de notoriété publique que nombre de cadres de la Silicon Valley prennent soin de scolariser leurs enfants dans des écoles sans écrans… Chez Facebook, X (Twitter), Instagram, YouTube ou Google, des repentis admettent aujourd’hui que leurs outils ont été pensés comme des « tétines numériques » susceptibles de sucer au maximum l’attention de leurs utilisateurs.
Pourtant, un écran n’est ni bon ni mauvais en soi. « Comme les autres avant lui, cet outil doit être au service de l’humain et non pas l’enchaîner dans une pratique addictive et chronophage », aurait rappelé la pédagogue Maria Montessori si elle avait vécu notre époque. Mais remettre ces outils à leur vraie place n’est pas si facile pour les jeunes d’autant moins que leurs parents font souvent un usage immodéré de leur smartphone, tablette, ordinateur et télévision…
Des parents pas au parfum
Des études montrent que ces derniers connaissent mal les effets d’une surexposition aux écrans sur le développement de cerveaux encore immatures. « À chaque fois qu’il y a un problème de santé publique, il y a toujours 30 ans d’écart avec le consensus scientifique. Et puis, il y a toujours cet étrange équilibre entre lobbyisme et réalité… » relevait récemment Michel Desmurget sur France Inter.
L’association genevoise « Réfléchissons à l’usage du numérique et des écrans » (Rune), composée notamment d’enseignants, logopédistes, médecins ou informaticiens, demandait récemment aux parlementaires fédéraux de légiférer sur des âges de référence pour l’accès aux écrans.
« Maltraitance involontaire »
Anne-Marie Cruz, co-présidente de Rune rappelle qu’il existe un large consensus scientifique sur le fait que « les écrans sont dévastateurs avant
3 ans et n’ont pas de véritables bienfaits avant 7 ans ». La militante préconise « un enseignement au numérique plutôt que par le numérique » et fait un lien entre l’omniprésence des écrans, « qui relève parfois de la maltraitance involontaire », et le fait que, selon la dernière étude Pisa, « 25% des Suisses de 15 ans ne sont pas en mesure d’identifier l’idée principale d’un texte de longueur moyenne »…
La Romande dénonce aussi le cliché assénant « qu’il ne faut surtout pas manquer le virage numérique » : « Un enfant capable de lire et écrire correctement n’aura aucun mal à maîtriser un smartphone plus tard mais l’inverse n’est pas vrai malheureusement… »
Même l’Unesco met en garde…
Dans son rapport « Les technologies dans l’éducation: qui est aux commandes ? », paru en juillet, l’Unesco, organisation onusienne pour l’éducation explique : « On a trouvé que la simple proximité avec un appareil mobile distrayait les élèves et avait un impact négatif sur l’apprentissage dans 14 pays, pourtant, moins d’un sur quatre a interdit l’utilisation des smartphones dans les écoles »…
À l’instar de Michel Desmurget, Anne-Marie Cruz voit dans la lecture « un antidote majeur à l’émergence du crétin digital ». « Car à travers elle, l’enfant nourrit ses aptitudes intellectuelles, ses compétences émotionnelles et ses habiletés sociales »…
L. Gr.
Les livres La fabrique du crétin digital et Humanité et numérique – Les liaisons dangereuses, se trouvent à la bibliothèque du Sentier.
Corinne Rochat
« Une véritable épidémie ! »
L’EXPERTISE DE L’ADDICTOLOGUE « Depuis 15 ans, nous traversons une épidémie d’addiction numérique ! Mais, ce ne sont pas les écrans, pas plus que l’alcool, qui sont problématiques en eux-mêmes mais les consommations à risque que certains en font… », rappelle le Professeur Jacques Besson. Le ponte lausannois de l’addictologie estime que 10% de la population est dépendante à divers degrés des écrans. « C’est-à-dire que ces outils les font passer à côté de moments humainement, intellectuellement ou spirituellement plus nourrissants… » Le spécialiste, qui a contribué à mettre sur pied des cures de déconnexion, relève que nous vivons dans une civilisation addictive. « Notre cerveau archaïque est ensorcelé par la nouveauté. Il sécrète de micro-doses de dopamine quand on a un stimuli via les écrans. C’est cette récompense cérébrale inconsciente qu’on va chercher. Elle mène insidieusement à une perte de démocratie psychique jusqu’à atteindre parfois la dictature du numérique. C’est un piratage de notre intégrité de l’ordre de la possession… » Chez les jeunes, le phénomène est plus problématique car leurs cerveaux sont en formation. « Jusqu’à 25 ans, la bonne plasticité neuronale contribue fortement à creuser dans leurs neurones des ornières dont il sera difficile de sortir… » Le psychiatre rappelle que nous sommes inégaux face aux addictions selon notre biologie, notre histoire et notre hérédité. « Le virtuel, c’est une illusion de présence… » résume-t-il aussi. Pour reprendre le contrôle sur les écrans, lui comme d’autres préconisent déjà de les éviter au réveil, au coucher et pendant les repas.