3e partie : 1571, commune de l’Abbaye ; 1646, commune du Chenit
– Enfin libérés des Bernois…
– Y‘z’ont quand même fait deux ou trois bonnes choses. Tiens, par exemple en 1543, y font passer la vallée de Joux sous l’administration du bailli de Romainmôtier, donnent à la commune du Lieu toutes les joux en deçà de l’Orbe et confirment le privilège octroyé par le baron de la Sarraz. Les limites de la forêt sont déterminées pour la première fois en 1627 et le nom de Risoud, qui désignait jusqu’alors la longue crête formant la frontière, sera dès lors celui d’une forêt délimitée par LL.EE. de Berne. Mais la surexploitation menace le massif. Et, en 1646, ces fins stratèges interdisent tout abattage sur une largeur de 300 mètres le long de la frontière « pour motifs de stratégie militaire et pour faciliter la défense du Pays de Vaud ». Voilà pourquoi on a un Risoud reconnu aujourd’hui comme étant une des plus grandes forêts d’Europe d’un seul tenant. Et célèbre pour son bois de résonnance très recherché par les luthiers et les facteurs de pianos.. Deux secondes, s’te plaît… à force de parler, j’ai la guerguette sèche… juste que je farte un peu la pente… Là, ça va mieux. Qu’est-ce-que je peux encore te dire ?
– Ben, les communes. Tu dis qu’y en a trois: le Chenit, le Lieu et l’Abbaye,
– Nom de sort. J’allais oublier. C’est pour ça que je t’ai fait ce petit historique. Alors, y’a l’Abbaye, le Chenit et le Lieu. Je les cite dans l’ordre alphabétique pace que, bien souvent, on dit le Chenit, le Lieu et l’Abbaye. Bien sûr, en superficie, le Chenit est la plus vaste… mais c’est pas une raison de passer en premier et de presque laisser pour compte les deux autres. Bon, c’est dit. Je reprends. Tu te souviens qu’entre les deux ordres religieux, ça n’allait pas si bien. Et, le 7 octobre 1571, la « Combe-de-L’Abbaye » obtient sa séparation d’avec l’unique commune du Lieu et se constitue en une communauté distincte, la commune de L’Abbaye.
– Et le Chenit ? Pis d’abord, y vient d’où ce mot, le Chenit ?
– Rien à voir avec le désordre, à l’époque en tout cas. Ce mot apparaît pour la première fois en 1489, alors écrit « Chinit ». Y semblerait qu’il dérive du patois « tsneu », qui signifie « branches de foyard sec jetant un vif éclat ». On n’en sait pas beaucoup plus, pace que les archives de la Vallée ont quasi toutes brûlé dans l’incendie qui a ravagé une partie du village du Lieu, dont la chapelle saint Théodule qui renfermait ces précieux documents. Mais on sait que ça devait passablement bringuer entre le Lieu et les gens de la tête du lac et que ce « Chinit » s’est détaché de la commune du Lieu en 1646 et devenait indépendant. Alors, tu vois, cette fusion de communes ne tient pas debout. Je sais bien, les temps ont changé, mais l’histoire reste. Et ça va rapporter quoi de fabriquer une grosse usine à gaz, hein ?
– Ben chais pas ! Pace que chez moi aussi y’a eu fusion. Et j’te dis pas le chenit (!) que ça amène.., on a perdu notre identité culturelle , nos armoiries entre autres, et la détérioration des services publics locaux est en tête de chapitre. Les habitants ressentent une perte de proximité avec les centres de décision locaux et une sensation de distance accrue. A part la réduction des coûts administratifs, je vois pas les avantages…
– Moi non plus. En 2025, on va revenir à la situation de 1396 où y avait qu’une seule commune, celle du Lieu. Et je vois pas pourquoi la grande commune veut s’approprier les deux autres. Pour satisfaire l’égo de certains, se vanter qu’on sera la plus grande commune du canton de Vaud, pour avoir davantage d’argent pour construire des trucs toujours plus grands? Ça me fout en rogne quand je vois ce qu’on autorise de faire au Chenit. Avec une seule commune, y pourront faire n’importe quoi, n’importe où, édifier des horreurs qui te bousillent le paysage et amèneront encore plus de monde dans nos usines et sur nos routes ! Non, non et non !
– Ben comme t`y vas. C’est quasiment l’apocalypse. Mais t’as pas tort.
– Et la commune qui a le plus à perdre, c’est bien le Chenit. Aucun lieu-dit ne porte ce toponyme. Donc, dès la fusion, ce nom disparaîtra à tout jamais. Tandis que le Lieu et l’Abbaye sont tout autant noms de communes que de villages et vont perdurer. Tu vois ce que je veux dire…
Jean-François Aubert
Suite la semaine prochaine.
Lire aussi sur le site internet : www.pourles3communes.ch
Sources :
Le langage combier (Charles-Hector Nicole)
Wikipédia (Vallée de Joux, l’Abbaye, Le Chenit, Le Lieu)