En notre région les ouvrages consacrés aux passeurs sont nombreux. Chaque année ou presque, rajoute une pièce au puzzle. Une de plus vient s’insérer dans le jeu en cette année 2024. Elle a pour titre : Emile Golay dit Milon, Journées historiques. La brochure est produite par les Editions du Rendez-vous, sous la houlette de leur officiant, Claude Karlen.
Il s’agit en ce titre, de deux récits de Milon retrouvés par miracle dans une foire aux livres, manuscrit compris dans une enveloppe. On ignore les raisons pour lesquelles Milon n’a pas fait paraître ces récits passionnants à l’époque où il les écrivit, en 1957, soit treize ans après les événements. Toujours est-il que voilà une excellente matière couchée sur le papier par un homme qui a autant de talent pour la plume que pour le pinceau.
De quoi s’agit-il ?
Milon, au soir du 28 août 1944, rencontre l’ami Léon de chez la Veuve. Les deux compères sont à vélo mais prennent le temps de s’arrêter. Léon s’écrie alors, surexcité :
– Ils ont foutu le camp de là derrière.
Ce qui revient à dire que les Allemands occupant la région de Chapelle-des-Bois et de la Combe des Cives sont partis.
Partis pour ne plus revenir ? Milon veut le savoir. A l’annonce de cette nouvelle stupéfiante, incroyable, il ne tient plus. Il est doté tout soudain d’une énergie surnaturelle. Comme il est déjà tard, il ne fait que remonter à sa cabane de la Marisoude en laquelle il dormira pour partir de bonne heure le matin pour la Combe des Cives. Il fait gaffe quand même à passer la frontière au niveau de laquelle on peut trouver de tout : des douaniers, des militaires, il y a peu encore des Allemands. L’officiel veille et l’on ne saurait trop s’en méfier. Mais notre ami connaît la musique, le Risoud, il le pratique depuis toujours, autant d’un côté que de l’autre. Il ne se laissera prendre par personne. Il rejoint donc la Combe des Cives en un rien de temps où il pénètre dans la ferme des Courvoisier, des connaissances qu’il apprécie et en lesquelles il a toute confiance.
Il dévoile son projet à ses hôtes, il veut se rendre à Chapelle-des-Bois. On le lui déconseille, sait-on jamais avec ces diables d’Allemands qui pourraient très bien avoir fait semblant de partir uniquement pour mieux revenir. Milon n’en a cure. Il veut goûter à l’ambiance de Chapelle-des-Bois dans une nouvelle ère de libération. Il s’y rend donc avec célérité. Il y rencontre des gens de ce village qu’il connaît. On se rassemble. On s’invite. On n’y croit pas encore tout à fait, mais en attendant on ouvre des bouteilles, celles-là même que les Allemands auraient bien voulu déguster ! On n’arrête pas de se congratuler. Est-ce possible ? Le curé arrive à son tour avec une autre topette. Ce serait presque l’euphorie s’il n’y avait malgré tout cette angoisse que tout retombe à zéro par un retour de l’ennemi. Quatre années d’occupation ne vous laissent pas revenir à la sérénité en un claquement de doigts.
Milon ne racontera tout cela qu’après une longue période d’oubli de ces événements, puisque ce travail de mémoire, il ne le fera que 13 ans après la libération de la France voisine. Milon, autrement dit Emile Golay (1885-1978), est horloger bijoutier, peintre, président de la Chorale du Sentier, assesseur de la justice de Paix du Cercle du Chenit, fondateur de la première patrouille d’éclaireurs de la Vallée de Joux, tout cela avant, pendant ou après cette tragique deuxième guerre. Il a la plume facile. Par ses écrits, en cette journée de libération, on s’y croirait. C’est palpitant. Et surtout, il y aura ce fait remarquable, c’est qu’il aura été le premier Suisse à retrouver la région de Derrière-le-Risoud hors de toute occupation étrangère. Son témoignage à cet égard est de toute première importance.
Le deuxième récit concerne la journée du 3 septembre 1944. Les tensions ne sont pas encore apaisées et la frontière reste un endroit où il ne fait pas forcément bon se promener. Pour des raisons que nous n’évoquerons pas ici - les lecteurs pourront les découvrir dans cette plaquette passionnante - Milon retourne en France et par malheur, tombe sur une troupe de Marocains qui ne sont pas loin de lui faire la peau. Mais notre homme est plein de ressources et réussit haut la main à se tirer de ce mauvais pas.
Ces deux récits constituent un document hors du commun, et font de la plaquette où ils sont consignés, une publication de grande valeur historique. Elle complète tout ce qui a déjà pu être écrit sur les passages de la frontière franco-suisse dans la région ouest du Risoud.
Félicitations à Jean-Pierre Devaud pour cette trouvaille remarquable, et merci à Claude Karlen de l’avoir mise en page dans le cadre des Editions du Rendez-vous dont nous espérons pouvoir vous donner quelque aperçu dans un prochain article.
La brochure peut être obtenue directement chez l’éditeur, Route de la Tranchée 12, 1347 Le Sentier,
tél. 021 845 66 01, prix 15.- port compris.
Ymer