La grande et belle aventure qu’a connue le Val d’Orbe avec le Requiem de Mozart est terminée. A Poligny (France), plus précisément en la collégiale Saint-Hippolyte, où une des ultimes œuvres du génie autrichien a été exécutée le 29 octobre dernier.
Un concert auquel le public français a répondu favorablement à cette invitation en remplissant quasiment tout le parterre. Situons le lieu. Poligny (département du Jura en région Bourgogne-Franche-Comté) peut s’enorgueillir de posséder un remarquable ensemble d’églises médiévales. Dont, au cœur de la ville, la collégiale Saint-Hippolyte édifiée au XVe siècle (début du gothique flamboyant). Classé monument historique en 1911, cet édifice se distingue par une harmonie remarquable, une unité architecturale exceptionnelle.
Quinze mois d’étude
Pour résumer, deux mots: enchantement et regrets, ou plénitude et vide. Enchantement d’avoir pu étudier et exécuter une œuvre aussi magistrale. Regrets, car tout ce matériau sublimement ciselé par Daniel Meylan, va disparaître dans les profondeurs du temps. Un directeur subtil et ferme autant qu’exigeant et délicat qui a su, par sa culture et son intelligence musicales, insuffler l’esprit de Mozart en chacun de nous. Que la partition ait été complétée par Süßmayr, Eybler ou encore Freistädtler, il n’en reste pas moins que le grand inspirateur du Requiem reste Mozart (bien qu’il puisât quelques idées à Michael Haydn, à Haendel). Et pour nous, choristes, cette œuvre est de Mozart. N’en déplaise aux sceptiques et autres contradicteurs quant à l’authenticité mozartienne : nous avons chanté le Requiem de Mozart. Ces deux concerts sont l’aboutissement d’une quinzaine de mois d’études. Semaine après semaine, pierre par pierre l’édifice s’est construit. La volonté, l’envie d’apprendre et l’énergie de chacun des choristes, la patience, l’intransigeance, l’abnégation, l’énergie (aussi) et la pédagogie du chef ont finalement résolu cette surprenante équation dont la réponse est : Requiem. Et c’est ainsi que, par deux fois (seulement) Mozart a fait vibrer pierres et charpentes du Sentier et de Poligny.
Moment privilégié
Il va sans dire que je n’ai pas la prétention de faire ici une analyse, une critique musicale. Mais d’une simple perception de ce deuxième et dernier concert, le premier ayant eu pour cadre le temple du Sentier le 9 octobre (voir article dans la FAVJ du 12 octobre 2023). Il serait malvenu que, en tant qu’un des interprètes, je formule le moindre avis quant à l’exécution de cette œuvre grandiose. Tout au plus, puis-je faire part, au nom de tous les exécutants, des sensations ressenties au cours de ces cinquante minutes de bain musical. Que dire de plus que ce fut un moment extraordinaire, exceptionnel, privilégié, hors du temps, flottant dans un univers dont même les cosmologistes en ignorent l’existence. Comme portés par les échos magistraux de cette musique pure, céleste, cristalline souvent, sombre parfois, mais toujours enchanteresse et rayonnante. Plus encore sublimée par une acoustique dont l’édifice et ses voûtes gothiques amplifient et réverbèrent les sons à tel point que nous étions le Requiem. Tant imprégnés de cette musique que les modestes amateurs que nous sommes ne peuvent, ne pourront pas sortir indemnes de cette mosaïque musicale. Croyants ou pas, cette Messe des morts est si puissante, si prenante que la moindre note, le moindre silence, sont inscrits au plus profond de nos cellules.
Emotion, frissons et bis
Magnifiquement soutenus par les instrumentistes de l’Ensemble Fratres et des solistes de haut niveau, les choristes (plus attentifs que jamais au moindre sourcillement, au moindre geste, à la plus minuscule expression du directeur) ont tout donné. Tout, pour que l’auditoire accueille ce Requiem avec autant d’émotion, autant de frissons que nous en avons eus. A l’évidence, ce fut le cas: émerveillé, le public manifesta son bonheur par des applaudissement nourris suivis d’une standing ovation. Pour clore le concert, la sérénité, la pureté et l’innocence du Laudate Dominum, un extrait des Vesperæ solennes pour soprano, chœur et orchestre a, lui aussi, conquis le public qui en redemandait. Daniel n’a pu se soustraire à ce «déchaînement» et a offert, en bis – contrairement au Sentier – le Lacrimosa (une des pièces du Requiem). Est-ce la fin de cette belle histoire qui nous «prit aux tripes»? Possible. Toujours est-il que cet ultime chant nous inspira peut-être davantage et son interprétation dégagea plus encore de sensibilité, de subtilité et d’émotion qu’à la première exécution. Nous étions heureux de l’œuvre accomplie.
L’appréciation de notre prestation peut paraître dithyrambique. Peut-être que tout n’a pas été parfait. Peut-être, ici ou là. Mais l’enthousiasme et la fierté d’avoir «maîtrisé» une œuvre aussi complexe, raffinée, envoûtante même, l’emporte sur la retenue du commentaire.
Un choriste/jfa