Jean-Paul Guignard nous a quittés de manière toute discrète en cette fin de septembre. Ce Combier typique en même temps qu’atypique, il l’était pour sa manière de parler unique où chaque mot était accentué, voire scandé, ne sera plus là pour traiter de géologie, pour voler au-dessus des siècles, voire des millions ou cent millions d’années. Il s’en sera allé sans doute dans quelque coin secret de Derrière-le-Risoud, là où il aimait aller, que ce soit en promenades diurnes ou nocturnes, alors que la lune se serait levée et que l’on aurait pu tout de même s’y retrouver un peu !
Jean-Paul était un homme dont les connaissances surpassaient sans aucun doute celles d’un citoyen ordinaire. Il avait beaucoup lu, mais plus encore il avait étudié le terrain. Il y découvrait des roches dont aucune ne lui était inconnue. Il aurait pu vous donner une conférence de deux heures sur les lapiaz, les laisines, les dolines, et autres curiosités de notre Jura karstique. Mais il ne négligeait pas non plus l’homme dans son histoire, ayant découvert peu à peu lors de ses multiples promenades en notre région qu’il connaissait comme sa poche, tout un réseau de vieux chemins, la plupart recouverts, dont plus personne ne soupçonnait l’existence, encore moins leur raison d’être. Sans doute pour beaucoup des chemins de nos anciens charbonniers, mais pour d’autres de véritables voies de communication.
De ces découvertes, Jean-Paul en faisait des brochures. Celles-ci sont malheureusement peu connues du public, car tirées à quelques exemplaires seulement. C’est qu’il ne visait pas un vaste lectorat, et que la connaissance primait sur une réussite quelconque dans le domaine éditorial. Ces multiples approches de l’histoire ancienne de notre contrée, constituent un fonds d’une grande richesse.
Mais Jean-Paul visait parfois plus large par des expositions thématiques réalisées dans le cadre du Patrimoine, alors que celui-ci possédait encore une salle en particulier. L’une des plus fameuses et des plus intrigantes, fut : 25’000 siècles d’activité industrielle. Que voulait dire ce chiffre faramineux, alors que La Vallée ne connaissait la présence d’habitants que depuis tout au plus une dizaine de siècles ? Simplement il en revenait à l’homme préhistorique dont il datait sa connaissance des premiers outils de cette si lointaine période. C’est lors de cette mémorable exposition qu’il put travailler de concert avec son ami Michel Freymond de la Coudre, autre passionné de l’histoire ancienne de l’humanité, sculpteur, qui façonna Adamus, ce premier homme tout étonné de comprendre qu’il est capable de créer un outil. La collaboration entre ces deux amis fut exemplaire.
Jean-Paul eut aussi et plus d’une fois l’occasion d’œuvrer avec Daniel Aubert, géologue, sur ce même Jura karstique qui les fascinait autant l’un que l’autre. Tous ces écrits sont à retrouver dans la fastueuse bibliographie combière.
On se souvient de Jean-Paul sous un autre aspect, amateur on l’a vu de promenades en tous genres en même temps que parfois flirtant avec le mystère. A trois, lui étant le chef de l’expédition, nous nous étions rendus au Fort du Risoux, construction en parfaite déshérence mais absolument fascinante située sur les hauts du Vivier à Bois d’Amont. La France alors, du temps de Napoléon III, mettait en place un système défensif dont faisait aussi partie le fort des Rousses. On s’était enfoncé dans les profondeurs de la forêt pour tout à coup déboucher, quelle incroyable surprise, là, au milieu des bois, sur le fronton d’une immense construction militaire, ce fameux fort du Risoux. Il était sans doute déjà signalé que l’accès à cet ouvrage aussi surprenant qu’étrange, était interdit, ce qui ne nous empêcha nullement de pénétrer dans ces couloirs, et visiter ces salles diverses, incrédules qu’un tel complexe puisse avoir été réalisé en ce lieu aujourd’hui désert et boisé. Il est à croire que situé sur un mamelon, ce pouvait être une sorte de poste de garde d’où la vue portait sur toute la vallée, les deux zones comprises, et en particulier sur la frontière d’où pouvait provenir l’ennemi !
Cette visite faite, nous ne la recommandons à personne en raison des risques de chutes de pierres, nous nous étions retirés à peu de distance, et là, dans une petite clairière, nous avions allumé un feu et nous nous étions régalés de viande grillée. Quel moment ! Dans le mystère du Risoud, à la lueur du foyer projetant nos ombres sur les arbres de proximité, à discourir certes de ce que nous avions vu, mais aussi à écouter le Maître dans quelques souvenirs d’autres expéditions.
Il avait bientôt sorti son harmonica, et là, nous avions été envoûtés par cette musique simple et nostalgique, et qui l’était d’autant plus que nous pouvions nous croire presque perdus à jamais dans l’immensité sombre et inquiétante de la forêt.
Jean-Paul était l’animateur dévoué et infatigable de l’Amicale de la Vallée de Joux dont il fut même le président pendant 52 ans ! Il s’était donné tout entier à cette vénérable institution qui a malheureusement cessé ses activités l’année dernière. C’est dans ce cadre qu’il révéla, secondé bientôt par une épouse attentionnée, ses talents d’organisateur et sa fibre sociale. Il fut de plus le rédacteur du journal Que dit-on ? édité par l’Imprimerie de la FAVJ, où il plaça, d’innombrables articles scientifiques ou autres, dont la plupart en rapport avec cette Vallée qu’il affectionnait tant.
Jean-Paul Guignard a tracé un sillon durable. Son œuvre reste remarquable. Nous ne l’oublierons pas.
Rémy Rochat