Une période électorale, c’est le pire moment pour parler de politique! De leur boîte à malices, les partis extirpent un ou deux mots-clés, lancés dans la corbeille des médias, d’où les électrices et les électeurs sont invité·es à pêcher ceux qui baliseront leur route vers le scrutin du 22 octobre. Pouvoir d’achat, climat, égalité, neutralité, prospérité, énergie, liberté: le choix est vaste. Sans oublier le wokisme et le genre, tout frais sortis du catalogue UDC. On n’a plus qu’à jouer avec les slogans comme avec les pièces d’un puzzle à placer correctement dans la cartographie de la politique fédérale. Le problème, c’est que tous figurent dans le viatique de chacun des partis et qu’ils charrient derrière eux des intentions cachées et des restrictions mentales. Impossible, dans ces conditions, de configurer une démocratie intelligible.
Prenons le mot «liberté», le plus beau! A l’UDC, la revendication de sa propre liberté autorise à en priver les autres. Les premiers visés sont bien sûr les migrant·es, ne serait-ce que parce que celles et ceux qui viennent chez nous «ne sont pas les bons», selon les termes peu courtois du parti (qui, dit en passant, interdit le langage inclusif), c’est-à-dire ceux qu’on ne peut pas exploiter! Avec sa nouvelle initiative fédérale, si la population suisse s’approche des dix millions d’habitants, on interdit tout à ces indésirables: regroupement familial, admission provisoire, naturalisation. Et si cela ne suffit pas, on expulse tout le monde et on ferme les frontières. Il serait bon de signaler à ce parti que, selon les estimations de la banque mondiale, la migration climatique s’élèvera à plus de 140 millions de personnes dans les trois prochaines décennies. Pour empêcher que ce «fléau» ne nous atteigne, l’UDC aurait donc intérêt à s’engager à fond, dès maintenant, dans la lutte contre le changement climatique.
Du climat, parlons-en justement. Ce mot représente un vrai sac d’embrouilles! Prenons la transition énergétique et les voitures électriques: pour les faire rouler, il faut des batteries dont la fabrication nécessite des tonnes de lithium, nickel, cuivre et cobalt. Impossible sans ouvrir de nouvelles mines dans des pays du Sud, dont les populations feront encore une fois les frais. Du côté des Vert·es on fera remonter des profondeurs des mots frondeurs tels que «solidarité» (avec les pays du Sud), «justice sociale», voire «sobriété» et «décroissance». Aïe!… Le PLR ne voit pas les choses ainsi: il sort de son arsenal le mot «prospérité», terme plus convenable que «profit». Il veut le climat mais aussi la croissance et l’exploitation des ressources de la planète, y compris les fonds marins, au préjudice de la biodiversité. Allez savoir si la fonte des glaciers ne serait pas, à ses yeux, une aubaine pour aller nicher des résidences secondaires au pied des pics déneigés…
S’il est un maître-mot qui remplit tout l’espace médiatique, c’est bien le «pouvoir d’achat». Peut-être est-il même le plus détestable! Non pas à cause de l’enjeu bien réel qu’il représente pour la population, mais en raison de sa portée symbolique: comme si acheter constituait le but ultime de notre société. Il y aurait bien des alternatives, mais elles restent muettes: pouvoir d’agir au lieu d’acheter, pouvoir de renoncer plutôt que d’accumuler, pouvoir de changer ses habitudes plutôt que de s’accommoder béatement de la logique addictive de la société de consommation.
La campagne électorale de l’automne, pour le moment, ne permet donc que de jouer avec les mots comme on joue au scrabble, ce qui ne produit qu’un patchwork sans âme. On aimerait que les partis cessent de ne marteler qu’un seul slogan. On aimerait surtout que les candidates et les candidats embarquent dans la course chargé·es de tous les mots pour leur donner du sens et du cœur, pour dépasser le morcellement. Ce devrait être, pour elles et eux, un moment de grande sincérité, l’expression d’un désir, d’une ambition, mais aussi d’un doute: «Voici comment j’aimerais, globalement, construire notre futur, mais je ne suis pas sûr·e d’y arriver». Le doute? Oui, parce que mieux que les concepts usés ou les certitudes obsolètes, c’est l’incertitude qui peut faire naître l’espoir.
Les quelques phrases qui suivent, à mes yeux, éclairent ce chemin: «Nous souhaitons amorcer un tournant catégorique et nécessaire, également synonyme d’une plus grande solidarité et d’une prise en compte de l’autre ici et ailleurs dans un élan collectif». Et aussi: «Nous avons besoin d’une écologie intégrale, d’écouter la souffrance de la planète en même temps que celle des pauvres, de mettre le drame de la désertification en parallèle avec celui des réfugiés». Les premières sont tirées d’un document de campagne des Vert·es, ce qui n’étonnera personne, me connaissant. Les secondes sont plus inattendues dans ce contexte politique puisque c’est le pape François qui en est l’auteur. Qui d’autre s’en inspirera durant cette campagne?
Anne-Catherine Menétrey-Savary,
ancienne conseillère nationale. Dernière publication: Mourir debout. Soixante ans d’engagement politique, Editions d’en bas, 2018.
Lu pour vous dans le journal Le Courrier du 11 août.
Corinne Rochat
Avec l’aimable autorisation du journal Le Courrier