Chacun ou chacune, tout au moins on se permet de le croire, aime à entendre sonner les cloches de son église. Le son harmonieux de celles-ci, courant dans l’air limpide d’un beau dimanche matin, appelant les fidèles au culte ou à la messe traditionnels, a quelque chose de sain et de réconfortant. On se sent accompagné et les pensées qui vous viennent alors à l’esprit, courent à la paix, tendent à la compréhension large et bienveillante de l’humanité. C’est tout simplement beau, et l’on se plaît à accompagner ce chant des cloches par l’ouïe aussi longtemps qu’il dure.
Parlons des cloches des églises de cette Vallée, pour le cas bien entendu où votre village posséderait un lieu de culte. Dommage pour les agglomérations sans un tel édifice.
Ces cloches ont été bien malmenées par les incendies.
Sans doute les plus anciennes de l’époque, nous parlons du XVIIIe siècle, devaient être détruites dans l’incendie de la Tour de L’Abbaye en 1741. Disparurent à leur tour lors du sinistre du second temple du Sentier en 1898, les deux cloches que l’on y trouvait, dont celle de 1612 qui avait trouvé place dans le premier lieu de culte.
La cloche de la première église du Pont ne date que de 1733. Elle a rejoint la nouvelle église quelque temps après son inauguration de 1902.
La cloche de l’église des Bioux ne peut être antérieure à la construction de cette admirable construction en 1698. Les campanes de l’église du Brassus ne sauraient précéder la date de son inauguration en 1837. Celles du Lieu sont récentes, coulées après l’incendie de 1858 qui détruisit alors une bonne partie du village. La petite cloche du collège du Séchey, figurant autrefois dans une chapelle depuis lors disparue, est de 1780, coulée au lieu-dit les Essertays, proche du Crêt à Badaud.
Nous en venons à l’église des Charbonnières, village qui coula sa première cloche aussi en 1780, et de même pour une petite chapelle depuis longtemps désaffectée et qui n’est autre que la boulangerie actuelle !
La nouvelle église date de 1834. Cette première cloche y fut transférée et resta toute seulette pendant six décennies. C’est alors que l’on pensa à compléter sa sonnerie. On le fit avec une cloche déjà existante, celle que Mme Annette Dépraz, habitante du Séchey mais originaire du village voisin des Charbonnières, qualifie de cloches des Rochat. En ces termes :
Et puis vous avez, il y a une cloche… il n’y avait qu’une cloche. Et puis la seconde, c’est une cloche des Rochat. Ce n’étaient que les Rochat qui l’avaient payée entr’eux. La seconde, celle qui a le timbre le plus grave. Les Rochat… J’avais je pense treize ans. Je me rappelle quand ils l’avaient montée, la cloche des Rochat. C’est le vieux Jérémie qui en avait été l’instigateur. Bien des Rochat ressortissants des Charbonnières avaient donné bien de l’argent. Il y avait Louis-Lucien Rochat, fondateur de la Croix-bleue, et puis Anthony Rochat. Leurs ancêtres étaient de l’Epine, ils se sont toujours bien intéressés aux choses d’ici. Ils avaient donné une grosse somme pour la cloche. Puis il y avait aussi des Rochat qui étaient parents du vieux Jérémie ; je crois qu’il avait encore un oncle qui était allé à Paris, là-bas, qui avait envoyé… Vous savez, quand il y avait des ventes pour l’église, on envoyait des circulaires à ces familles qui avaient des ressortissants ; ils étaient toujours intéressés.
On ne saurait dire si les propos de Mme Annette Dépraz sont rigoureusement exacts, vu que la feuille de souscription a disparu et que l’on ne pourra donc jamais découvrir qui furent réellement ces généreux donateurs.
Une nouvelle cloche dont il convient de retracer le parcours.
Du 4 juillet 1896. M. le Président donne lecture d’une lettre de
M. Thiébaud, accordeur de cloches à la Praz, qui offre de fournir une cloche d’occasion du poids d’environ
250 kilos qui compléterait heureusement par l’accord en tierce mineure la cloche qui existe déjà dans le beffroi du temple des Charbonnières. Il céderait cette cloche qui, quoique ancienne, est excellente, pour le prix relativement bas, environ 500 frs rendue posée. Il engage donc les autorités communales ou du hameau de profiter de cette occasion.
Après discussion, le Conseil reconnaissant qu’il serait fort désirable de se procurer une seconde cloche, décide de renvoyer cette lettre à la Municipalité et de la prier de voir s’il n’y aurait pas lieu de profiter de l’offre de M. Thiébaud et de compléter la sonnerie du temple des charbonnières.
Le village des Charbonnières ayant remis son église à la commune du Lieu le 22 juin 1882, il ne tenait plus à participer au financement de cette cloche et remit le dossier à la dite dont la réponse fut la suivante :
Le 10 octobre 1896. M. le Président donne lecture d’une lettre de la Municipalité informant le Conseil qu’en réponse à sa demande du 10 juillet dernier, la commune accorde au hameau un subside de 250 frs pour installer une seconde cloche dans le temple des Charbonnières. Après discussion, le Conseil décide de remercier la Municipalité pour cette offre et de lui dire qu’il estime que c’est à la commune à compléter la sonnerie du temple des Charbonnières sans recourir au concours financier du hameau. D’autre part le hameau ne se sent pas la latitude d’installer quoi que ce soit dans un bâtiment qui ne lui appartient pas.
La somme manquante sera en conséquence réunie par souscription :
Du 3 avril 1897. M. le Président (du village des Charbonnières) donne lecture de la feuille de souscription qui circule dans le public pour parfaire la somme nécessaire pour le paiement de la nouvelle cloche installée dans le temple des Charbonnières. Après discussion le Conseil ne trouve pas à propos d’y souscrire.
Bande de radins, serait-on tenté de dire, et manière assez peu patrimoniale de conclure l’affaire de par ce Conseil administratif si proche de ses sous. Mais aussi belle preuve que
Mme Dépraz avait une bonne mémoire et que la souscription eut réellement lieu.
La cloche en question provenait de Rances. Elle portait comme inscription sur la partie supérieure de son pourtour :
CRAINS DIEU ET GARDE SES COMMANDEMENTS CAR C’EST LE TOUT DE L’HOMME – MOYSE RAMEY CURIAL ET ABRAHAM BONJOUR ET JEHAN CALLIACHON GOUVERNEURS DE RANCES – 1640.
Cette cloche d’église, donc sauf erreur la plus ancienne de La Vallée, est toujours en fonction et appelle avec sa proche voisine les fidèles à se réunir pour le culte du dimanche depuis bientôt quatre siècles. Déjà là-bas, dans le nord vaudois, et puis ici dans notre village. Et l’écouter, en harmonie avec la cloche de 1780, reste un enchantement, voire une bénédiction !
PS : les citations datées proviennent de l’un des registres de procès-verbaux du Conseil administratif du village des Charbonnières. Les paroles de Mme Dépraz sont extraites de la brochure : Souvenirs du début du siècle, Editions Le Pèlerin, 1988.
Patrimoine de la Vallée de Joux