Noël, la plus belle fête de l’année. La naissance du Christ certes, mais aussi cette lumière dans la nuit. Celle qui illumine tout ce mois de décembre, lui donne son ambiance toute particulière, où, retrouvant son enfance, car il n’y a que le souvenir de celle-ci qui puisse déteindre de manière aussi profonde sur le présent, on se laisse emmener par des rêves heureux. Heureux certes, bien que l’on sache que ceux-ci soient plus ou moins déconnectés de la réalité ordinaire.
L’on ne saurait refuser cet apport spirituel immense et réconfortant.
Le développement historique qui suit, il fait dans le réalisme plutôt que dans l’imaginaire ou le merveilleux, est lui aussi lié à la célébration de la fête de Noël. C’était il y a 410 ans. Le Chenit, on ne parlait pas tellement à l’époque du Sentier, vivait là un événement fondateur de son histoire en même temps que porteur d’un avenir grand ouvert sur l’histoire et plein de promesses nouvelles pouvant aller dans le sens de réalisations futures solides, durables, capables surtout d’améliorer la vie quotidienne de cette collectivité naissante.
Cette situation est posée dans ce que nous nommerons: La plus ancienne chronique de la Vallée de Joux. Celle-ci figure dans les archives communales du Chenit, cote NA 1. Un ouvrage relativement modeste dans sa présentation et dans son format, mais d’une richesse incomparable dans son contenu. Cet ouvrage avait servi au début du siècle passé à Charles-Adrien Roch, sous-archiviste à l’Etat de Genève, à documenter son ouvrage: La famille Le Coultre originaire de Lisy-sur-Ourcq du XVIe au XXe siècle, Genève, 1919.
Il y décrivait le manuscrit de la manière suivante:
C’est un petit volume mesurant 160 x 239, relié, rogné, dont le papier porte le filigrane S. H. (entre l’S et
l’H du filigrane, le signe qui figure est un 4 dont la ligne verticale est allongée et arrêtée, au bas, par une ligne un peu recourbée, terminée des deux côtés en tête de flèche), dont les folios non numérotés sont en grande partie inutilisés.
Commencé le 26 janvier 1614, fini le 5 avril 1628, il a été «dressé», collationné par Pierre II Le Coultre et signé par lui le 5 octobre 1628, «bien que d’autre main écrit», aurait-il pu dire, car il fut grossoyé par Jacques Maréchal du Chenit.
Quatorze ans pour composer ce tout petit livre!
Un petit livre qui retrace la construction de la première église du Chenit inaugurée en 1612. Un épisode clé de l’histoire de cette région de La Vallée raconté à son tour avec force détails par le juge Nicole dans son historique de 1785 (publié seulement en 1840). Il écrit notamment quant à la cloche offerte par LL.EE., faisant référence au sieur Pierre Le Coultre II, l’un des plus grands animateurs de cette entreprise:
Il fait ensuite voiturer cette cloche jusqu’à Morat, où il trouva un batelier d’Auverny, près de Neuchâtel, «auquel batelier (dit-il), je fis marché pour naviguer moi et ma cloche jusqu’à leur village.» Dès-là, il se fit conduire à Yverdon, d’où il fit voiturer sa cloche jusqu’au Lieu, où elle fut déchargée à la forge d’un nommé Abel Aubert, pour en compléter les ferrures, et, dès-lors (continua-t-il) fut posée en l’église du Chenit, pour sonner pour le jour de Noël 1612.
Le voyage de Pierre Le Coultre à Berne avait duré douze jours et coûta 36 florins aux habitants du Chenit qui durent encore débourser 36 florins pour les voitures de la cloche.
La construction de cette église, pourtant modeste, puisqu’un siècle plus tard elle ne suffisait plus à contenir tous les fidèles d’une population qui s’était fortement développée, est un acte fondateur. En effet, par cette initiative considérée en quelque sorte d’insoumission vis-à-vis de la commune du Lieu dont faisait encore partie le territoire du Chenit, les animateurs du projet non seulement prenaient leurs distances par rapport au chef-lieu mais aussi mijotaient déjà leur totale indépendance qu’ils n’acquéraient toutefois qu’en 1646. La construction de cette église était d’autre part un acte de foi authentique et courageux.
Notons que la commune du Lieu ne goûta guère à ces velléités de sécession et ne donna rien, pas un arbre, pas une pierre, pas un sou, pour cette entreprise! Ce qui laisse très facilement imaginer qu’elle pouvait être la mentalité de ses ressortissants restés au village! On no z’a dèpossèdâ, auraient-ils pu dire! Ou encore: on no z’a dèpoulyî!
En tout la construction d’une église prouve la naissance d’une vraie communauté, qui allait naturellement acquérir peu à peu dès cette époque toutes les commodités qu’elle trouverait utiles et nécessaires pour améliorer ses conditions de vie.
Pour en revenir à l’ouvrage de Charles-Adrien Roch sur la famille Le Coultre, notons que l’auteur fit vraiment un travail remarquable en intégrant dans son texte la transcription complète du contenu du manuscrit, et Dieu sait si la lecture d’une écriture à l’ancienne peut être difficile.
Ce manuscrit comprend une introduction où l’on explique le pourquoi de la construction d’une église sur le territoire du Chenit sous la protection tacite de LL.EE., l’éloignement du temple du Lieu étant la cause première. Suit un listage des chefs de famille impliqués dans cette construction. Ils sont 35 et constituent en tout 309 personnes. La famille la plus importante est celle de Claude Meylan, qui comprend 24 individus.
La tribu de Pierre Le Coutre, avec ses trois frères, suit de près avec
22 personnes. On cite naturellement tous les autres patronymes connus à l’époque, soit: Mareschal, Reymond, Goy, Piguet, Nicolaz (qui deviendrait Nicoulaz puis Nicole), Gaulaz, Hodemart (bientôt Audemars), Guignard, Perreaud, Rochat, Capt, Viande, Mareschaut, Mignot.
On décrit ensuite de manière très attentive le processus de construction jusqu’à l’achèvement des travaux, sans oublier de parler du problème financier.
Le manuscrit avait donc été commencé en 1614, soit deux ans après la première sonnerie de la cloche. Il était temps, en ce sens qu’il fallait d’urgence coucher sur le papier des données historiques encore chaudes et qu’il convenait de ne jamais oublier.
Un livre qui a franchi allègrement ses quatre siècles sans que rien, ni de l’écriture intérieure, ni de son reliage, n’ait été malmené d’une manière quelconque. Sa valeur culturelle est immense. Il constitue en plus, sauf erreur, la plus ancienne pièce d’archive de la commune du Chenit.
Patrimoine de la Vallée de Joux