Le pommier de mon jardin se fait poème avec ses derniers fruits saupoudrés de blanc, éclats de douceur dans le matin frigorifié. Aux branches de mon âme, une parole de Christian Bobin ouvre un horizon : « La deuxième vie des baignoires commence dans un pré, c’est la plus belle ».
J’ai été sonné à la nouvelle de son décès. Christian Bobin, le poète pointilliste tour à tour s’extasiant devant un caillou « sur le chemin de la boîte aux lettres », se désolant en de douloureux soupirs au spectacle de ce monde à terre : « Triomphe des corps inhabités, acclamation des chiffres, gloire des images idiotes, jamais personne ne se sera autant agenouillé que les modernes prétendument irréligieux. »
Il est décédé là où il était né et toujours resté, loin de « Paris-Nécropole » dans sa petite maison au cœur de la forêt, près du Creusot. C’est de là que pendant près de dix ans, il a offert aux Matines d’Espace 2 des bouffées de tendresse et de beauté lovées au cœur des petits riens.
Il y a quelques semaines en Avignon dans une librairie de passionnés, m’attendaient son dernier ouvrage à lamper, « Le muguet rouge », ainsi que « Les différentes régions du ciel », recueillant une bonne partie de ses textes comme précieuse eau de pluie dans une citerne d’un beau millier de pages. Ils sont, depuis, posés sur une table basse à portée de cœur.
Qu’il s’agisse d’un ouvrage, d’un court texte ou de phrases éclaboussant la blancheur des pages, ses livres s’ouvrent tels des ailes de papillon. Parmi eux, « Le très bas » évoquant François d’Assise, « Ressusciter », d’une profondeur cristalline, « La très vive » hommage à sa compagne Ghyslaine. Et son adresse lumineuse dans « Le Christ aux coquelicots ». Pépites éparses.
« Je m’assieds devant la table d’écriture et je laisse venir à moi les différentes régions du ciel. »
« Je t’écris dans la lumière. J’ai besoin de ta lumière pour écrire. »
« Je t’aime plus que mes mots, que tous mes mots : c’est une nourriture d’anges que ta parole. »
« Nul plus que toi ne porte l’amour aussi haut, à cette blancheur tremblée au cœur de la flamme. Tu as forcé mon cœur. Tu as jeté l’émeraude du monde qui s’y trouvait et tu as mis le rien de ton amour à la place. »
« Toi et le ciel, vous êtes ensemble à rendre jaloux des amants. »
« Tu es contagieux comme le feu des coquelicots traçant un chemin de contrebandier dans le sommeil doré des blés. Ressuscité par ton souffle, mon cœur connaît une fièvre à rendre jaloux les feuillages des arbres, comme si le temps n’était qu’une brûlure de l’âme. »
« Personne ne peut m’arrêter maintenant. J’ai des ailes. Le rouge des pavots monte à mon cœur comme une flamme. »
« Un petit manège tourne, allumé dans la nuit comme un chagrin merveilleux. »
Feu Christian Bobin ne s’est pas éteint, il rougeoie de l’amour incandescent du Christ aux coquelicots.
Antoine Schluchter