La commune de L’Abbaye a fêté l’an dernier son 450e anniversaire : c’est le double, soit 9 siècles ! que les « moines blancs » de l’Ordre - à l’origine de la colonisation de La Vallée - ont commémoré il y a dix jours en Camargue.
En rendre compte, c’est aussi remonter le cours de l’histoire, après avoir descendu la vallée du Rhône à leur rencontre, tant à la basilique St-Michel de Frigolet (construite en 1858) leur établissement, qu’à St-Gilles, cadre des cérémonies officielles de ces neuf-cents ans.
C’est en 1118 que Norbert de Xanten, venu de Picardie, put rencontrer le pape Gélase II de séjour à Saint-Gilles. Ce dernier lui reconnut le statut exceptionnel de prédicateur itinérant, qui ouvrit une nouvelle dimension à son engagement au service de la foi et le mena jusqu’à la tête de l’archevêché de Magdebourg. Par la suite, il n’a alors que 30 ans, Norbert fonda en 1121 avec une vingtaine de compagnons l’abbaye de Prémontré, près de Laon. Soit un siècle avant l’apparition des Franciscains et des Dominicains, comme l’a expliqué le père Ardura, du Conseil pontifical pour les Sciences historiques, venu en conférence le samedi.
La messe anniversaire a été conduite par le père Jos Wouters, supérieur de l’ordre, en présence des évêques de Nîmes, d’Arles/Aix-en-Provence et d’Avignon, accompagnés du prêtre titulaire Pesenti et de délégations de l’Ordre de Malte et de Franciscains.
Après la communion solennelle, la bénédiction de la statue de Saint-Norbert récemment installée est intervenue : le saint, également protecteur des futures mamans, tient une colombe en main, bâton et longue pelisse sous laquelle apparaît un loup. La légende rapporte qu’en son temps, un frère berger avait recueilli un chevreau attaqué par un loup. Offusqué qu’on ait retiré la victime des crocs de la bête, Norbert l’avait fait libérer pour satisfaire à la faim du loup. Peu après, ce loup nommé Gubbio avait gratté à la porte du cloître où Norbert et quelques bergers l’avaient gardé; au fil des ans, il était devenu protecteur des troupeaux de moutons, précurseur du chien de berger en quelque sorte.
Un retour du loup ?
De là, le parallèle avec le loup venu se désaltérer dans la Lionne le 22 août 2021, il y a comme un signe… qu’une abbaye - prémontrée de surcroît mais disparue - peut encore attirer le loup. Provocation aux anti-loups ? que l’actualité n’est pas en train de démentir, convenons-en.
St-Gilles carrefour européen jusqu’au Haut Moyen Age
Lieu de pèlerinage durant tout le Moyen Age, la ville était la quatrième en importance, après Rome, Jérusalem et Saint-Jacques de Compostelle ; point de jonction également au chemin des pèlerins de toute la France et du nord de l’Europe descendus par les Cévennes. L’approche et entrée de la Camargue offre le parcours d’étendues viticoles renommées, les Costières de Nîmes.
Son accès maritime a vu les Grecs, puis les Romains contribuer à son établissement et défiler l’histoire, de par l’importance de la traversée du Rhône par bateau ou par un rare pont de l’époque romaine, à Arles, pour tous les échanges terrestres entre l’Espagne et Rome. C’est également ici que se constitua en 1095 la première croisade vers la Terre Sainte, conduite par Raymond de Saint-Gilles, comte de Toulouse.
Au fil des siècles les premiers protestants ont imprégné ce Languedoc, d’abord cathares, ils ont subi et souffert lors de la campagne contre les Albigeois, provoquant leur Refuge cévenol, puis l’exil des Huguenots vers nos contrées.
Ces révoltes, puis la Révolution française, ont partiellement détruit l’abbaye de St-Gilles qui mit des siècles à retrouver sa splendeur. Elle a perdu son chœur mais l’immense nef convient parfaitement à l’accueil des fidèles et cohortes de touristes. Une grosse part des visages de la statuaire témoigne de ces destructions : la façade richement décorée de sculptures couvrant les trois portiques raconte la Bible aux pèlerins d’alors qui n’avaient pas accès par la lecture. Un chef d’œuvre à découvrir.
La mort de Saint-Gilles voilà 1300 ans concordait avec cette manifestation d’ampleur. Son tombeau, mis en valeur sous la vaste crypte demeure l’objet du pèlerinage depuis la nuit des temps. Escaliers et passerelle permettaient aux cohortes de pèlerins d’y accéder en continu.
Décidément les fils de l’histoire sont ici difficiles à démêler : un jeu passionnant et déroutant pour deux jours d’escapade.
Aujourd’hui, cette ville de 13’500 habitants connaît un grand intérêt touristique : elle est point de départ pour la location de péniches aux vacanciers et offre occasionnellement des spectacles de taureaux avec gardians et chevaux camarguais.
Jacky Reymond