« Ô petit pays dont je suis le fils, sais-tu bien quel est mon grand amour ?
Ô petit pays… car je t’aime, et pour toi chaque jour je travaille et je chante et je vis… » (Gonzague de Reynold)
Selon la formule consacrée, « tout(e) Combier(ère) qui se respecte » a déjà moult fois entendu ces paroles chantées par les fières voix mâles des Chorales du Brassus ou de L’Orient ; elles sont tirées d’un célèbre chœur pour voix d’hommes composé en 1928 par un jeune et talentueux musicien vaudois de vingt-cinq ans, Carlo Hemmerling ; ce dernier a d’ailleurs occupé une place très importante dans la vie musicale romande de la première moitié du XXe siècle (nombreuses œuvres chorales, Fête des Vignerons 1955, Directeur du Conservatoire de Lausanne, etc.).
Il est vrai que ce très beau chœur, pour les chanteurs comme pour le public auditeur, génère souvent une émotion spontanée et, coïncidence heureuse, «colle» parfaitement à la Vallée de Joux, à sa nature, ses paysages magnifiques, sa population laborieuse, sa vie culturelle…
Il y a pourtant une certaine crainte que les Chorales de L’Orient et du Brassus ne doivent sous peu retirer cette partition de leur répertoire… ou alors la garder en modifiant le texte pour l’adapter à notre époque contemporaine, ce qui pourrait donner « Ô petit pays dont je suis le…FRIC ! ». Amis Combiers, pardonnez-moi ce presque blasphème, mais je n’ai pu me contenir en traversant il y a quelque temps le village du Brassus. Et sûr qu’André Charlet, qui a pendant plus de cinquante ans dirigé la Chorale du Brassus, serait aujourd’hui totalement sidéré en réalisant ce que devient « son » Brassus !
Des grues un peu partout, des chantiers colossaux, gigantesques, d’immenses bâtiments, un hôtel luxueux et futuriste, un brin bizarroïde, un parking à étages, des manufactures horlogères totalement surdimensionnées par rapport à l’environnement : bref, beaucoup, beaucoup d’exagération, presque de l’arrogance, on a le sentiment que Le Brassus est en train de perdre son âme (ou la tête… ou les deux…). Tout ça pour quoi ? Pour un accroissement du profit évidemment, sans cesse à la poursuite d’un chimérique veau d’or, en quête de toujours plus d’argent, encore et encore, toujours plus, on n’en a jamais assez… Où cela va-t-il s’arrêter ? Risquons-nous à le dire : L’Economie n’agit pas toujours avec bon sens et, bien souvent, nous mène par le bout du nez !
Ô petit pays, sera-t-il encore longtemps possible de chanter que l’on t’aime ?
Michel Hangartner
Vallorbe