Le chemin forestier qui s’engage au travers de la montagne de la Thomassette va-t-il devenir la route du pétrole ?
Dans tous les cas, les lieux sylvestres et tranquilles de cette partie du Risoud de l’Etat vont connaître une animation nouvelle.
On imagine sans peine les travaux qui vont être faits pour assurer le ravitaillement en eau de la station de forage. Les curieux seront nombreux à se rendre sur le chantier qui va s’ouvrir au Chalet Capt.
Brave chalet, qui fut autrefois un poste de gendarmerie. Jadis, on empêchait les bourguignons de passer la frontière et de venir braconner sur la terre helvétique.
Ces pratiques sont maintenant passées et la société française qui se propose de faire des sondages sur notre sol a toutes les autorisations nécessaires.
Mais si les recherches donnent des résultats, l’or noir descendra-t-il au Brassus, ou bien sera-t-il conduit directement sur Combe des Cives ? C’est là une question que l’on peut se poser.
A propos des recherches de pétrole au Chalet Capt – FAVJ du 21 septembre 1960
Nous recevons de la « Middleland Oil Co », Société suisse de pétrole dont le siège est à Soleure mais dont la majorité du capital social est romande, les renseignements suivants qui intéresseront nos lecteurs.
Cette société a obtenu il y a plusieurs années déjà un permis de recherches pétrolières dans notre canton, sur un territoire de 560 km2, s’étendant sur la partie sud-ouest de ce dernier, entre le lac Léman, la frontière genevoise et la frontière française.
Après de longues recherches géologiques et avec l’agrément du Conseil d’Etat, en vertu d’une récente décision de celui-ci, nous avons conclu un accord avec deux sociétés étrangères, soit la Texfel, société américaine, et la Prepa, société de prospection et d’exploitations pétrolières en Alsace, cette dernière étant chargée d’implanter un forage en profondeur au Mont-Risoux, à l’altitude de 1350 mètres, à proximité de la frontière française, rière Le Brassus, commune du Chenit.
Les travaux de génie civil nécessaires relatifs à l’abattage d’une forêt d’une surface d’un hectare, à l’aménagement de la plateforme destinée à recevoir la tour de forage et les installations de chantier, ainsi qu’à divers travaux de correction et d’aménagement du chemin d’accès du Brassus au chantier, sont actuellement en cours d’exécution et seront très prochainement terminés.
Il est prévu que le matériel de forage qui arrivera de France par Mouthe entrera en Suisse durant la dernière semaine de septembre. Il s’agit d’un convoi imposant, comprenant 19 véhicules tracteurs et 21 semi-remorques devant effectuer non moins de
29 voyages pour le transport de plus de 700’000 kg de matériel dont le dédouanement est prévu aux Charbonnières.
Comme il s’agit-là d’un événement d’une nature toute à fait exceptionnelle dans notre pays, nous espérons pouvoir communiquer à temps la date d’entrée de ce convoi dont le spectacle ne manquera certainement pas d’intérêt.
Au chantier de recherches pétrolières du Risoud – FAVJ du 2 novembre 1960
Le chantier de recherches pétrolières actuellement en pleine activité intrigue et intéresse une grande partie de notre population. Dans le but de renseigner le public, nous nous sommes mis en rapport avec la direction de l’entreprise qui nous a très aimablement reçus et gentiment fait comprendre qu’il s’agit d’une entreprise privée, exposée comme toute entreprise, aux risques de la concurrence. Par conséquent, il ne faut pas s’attendre à des divulgations sensationnelles ou d’intérêt technique.
Le chantier d’exploitation est strictement privé et au bénéfice de droits acquis à l’Etat de Vaud, c’est la raison pour laquelle l’accès direct aux installations proprement dites est interdit sous réserve d’autorisations spéciales. On peut néanmoins en faire le tour et se rendre compte de l’activité qui y règne, et le simple spectacle de ce derrick en plein Risoud, de nuit illuminé par des projecteurs, vaut déjà en lui-même le déplacement. Notons que c’est la première tentative faite dans le Jura suisse et à cette altitude. La société PrEpa de Strasbourg qui dirige les opérations techniques a déjà effectué un sondage à Aveyron, près de Lons-le-Saunier. Une nappe de pétrole y a été décelée, mais pas suffisamment importante pour être exploitée avec profit. Elle a été momentanément abandonnée, mais c’est peut-être aussi une des raisons qui ont incité l’entreprise à poursuivre ses recherches dans la même voie.
Des renseignements que nous avons pu obtenir, la situation à ce jour (31 octobre 1960) est la suivante: profondeur du forage, 339 mètres. L’avance du forage n’a pas été aussi rapide qu’on le prévoyait. Cela provient en partie de la dureté du sous-sol et de la découverte de deux poches ou cavernes si l’on préfère, vides bien entendu, qui ont nécessité des arrêts prolongés du forage pour procéder au colmatage. Dans chaque cas, il faut extraire à nouveau le trépan et l’axe, bien entendu, et procéder au tubage de la caverne. Les instructions doivent être données par un ingénieur venant de Paris, qui procède par sondages électriques pour déterminer l’ampleur de la poche. La présence des poches est révélée par la fuite de l’eau et des produits introduits dans le forage. Si elles retardent considérablement l’avance des travaux, elles sont néanmoins un indice du sol tourmenté qui peut faire espérer par la suite d’autres imprévus moins négatifs. On a par exemple pu déterminer qu’entre 1700 et 2100 mètres, un mouvement de terrain est aussi susceptible de présenter des excavations que seul le trépan peut atteindre pour en sonder le mystère.
Le ravitaillement en eau exige un effort continu : il en a fallu certains jours jusqu’à 105 mètres cubes alors que la moyenne escomptée est de 80 mètres cubes. Le chemin a déjà du être renforcé à plusieurs endroits. La relève des trois équipes quotidiennes du personnel s’effectue aussi normalement et la Société nous dit que chacun a pu trouver à se loger de façon satisfaisante. Chaque mois des rapports strictement confidentiels sont communiqués par la Société au Conseil d’Etat sur l’avancement des travaux, analyses des extractions, etc. Pour notre part, en remerciant la direction de la Middleland Oil Co (Société suisse qui finance les travaux) et particulièrement M. Maillard, nous espérons pouvoir par la suite continuer à renseigner le public sur l’avancement du forage.
R.D2.
Au chantier de recherches pétrolières du Risoud – FAVJ du 15 février 1961
De nombreuses personnes s’interrogent sur l’état actuel des travaux et l’activité déployée durant ces deux mois d’hiver.
Des renseignements que nous avons pu obtenir grâce à l’amabilité de
M. Maillard, il résulte que les difficultés de tous genres ont surgi et au fur et à mesure il a fallu résoudre des problèmes complexes entraînant des arrêts de forage.
Cela ne sent pas encore le pétrole, nous a-t-il été avoué et la nature du sous-sol s’avère toute différente de ce qui était présumé ensuite des recherches initiales. On s’attendait, entre 700 et 1200 mètres, à trouver un mouvement de terrain, une gonflure, symptôme d’une poussée de bas en haut créée par une nappe supposée du précieux liquide. On est actuellement à 1350 mètres de profondeur dans une nouvelle couche calcaire excessivement dure. Le trépan n’avance qu’à raison d’un mètre pour une heure et demie de forage et présentement l’axe s’est rompu et l’on s’affaire à le ressortir. Le cas s’est déjà produit au début de décembre et l’on avait du faire appel à un ingénieur spécialiste. Dans un autre cas, une pièce indispensable devant être remplacée, a été acheminée depuis l’Algérie, en 36 heures, par avion, jusqu’à Paris et camion jusqu’au Risoud.
Entre 500 et 1200 mètres, des cavernes en escalier ont considérablement ralenti les travaux. Aucune remontée de boue n’étant possible, on ne pouvait pas analyser la nature du sous-sol : plusieurs centaines de tonnes de ciment ont été enfouies pour colmater les cavités et durant cette période, il fallait 200 m3 d’eau par jour, ce qui représentait 15 voyages par 24 heures depuis la Combe, un véritable tour de force. Il avait été prévu d’utiliser 4000 m3 d’eau pour toute la période d’exploitation et l’on en a employé 5380 m3 pour le mois de décembre seulement. Ensuite il a fallu interrompre quelques jours le forage pour tuber, c’est-à-dire pour introduire d’immenses tuyaux pour établir une canalisation de remontée étanche permettant de poursuivre le forage normalement.
Si la nature géologique du terrain n’est pas favorable en ce moment, l’expérience se poursuit sans discontinuer, malgré les difficultés rencontrées, effort d’autant plus méritoire qu’aucun symptôme ne permet actuellement d’envisager un résultat positif. Mais dans le Sahara, nous a-t-on dit, on s’est parfois trouvé devant les mêmes difficultés et des terrains semblables.
Malgré les très fortes chutes de neige de ces derniers jours, le trafic a pu être maintenu normalement et c’est dans une tranchée impressionnante de deux mètres de neige que trafiquent les camions assurant la relève des équipes et le ravitaillement en eau. Un horaire à sens unique a été établi par l’entreprise et actuellement tout trafic privé est interdit. Il n’y a aucune possibilité de croiser dans ce long tunnel à ciel ouvert.
Le personnel a pris ses habitudes dans la région. Les « fondeurs », comme on les appelle, exercent un rude métier. A raison de 8 heures consécutives, ils se relaient jour et nuit, semaine et dimanche. Ils ont la possibilité de retourner dans leurs foyers tous les mois, ce qui ne leur est pas possible lorsqu’ils travaillent dans les colonies ou le grand nord. Ils n’ont pas encore eu à souffrir du froid, protégé qu’ils sont par un équipement adapté aux exigences du métier. Au début de décembre, ils ont eu au Brassus leur fête qui correspond à la Sainte-Barbe des artilleurs.
Notre prochaine chronique fera-t-elle l’objet d’une grande révélation ou annoncera-t-elle le signal du départ ? Restons sur ce point d’interrogation en souhaitant bonne chance à l’entreprise dans la poursuite des recherches.
R.D.
Texte fourni par M. Rémy Rochat des Charbonnières et M. Daniel Aubert du Brassus.
Photo: M. Devaud, Le Solliat