Jaques-Louis Piguet, deuxième du nom, et qu’on appelait aussi Grand Louis, bien qu’il fut moins grand que son père, naquit en 1788.
Comme son père, il exerça la profession d’horloger.
Ce fut lui qui, en 1815, tua le dernier loup à la Vallée de Joux.
Cet épisode vaut la peine de s’y arrêter un instant.
On était au mois de janvier.
Des traces de loup ayant été relevées près du Moulin du Brassus, une battue fut organisée et la troupe des traqueurs réussit à «encintrer» la bête dans le bois de la Croix-du-Vuarne.
Le Grand Louis qui, apparemment, était placé dans un bon endroit, vit venir à lui le fauve qui trottinait allègrement. Il le mit en joue et l’abattit d’un seul coup de fusil.
Il fit, disait-il, le belecul, et resta étendu sur la neige.
Le retour au Brassus fut triomphal!
Les jeunes filles, rassemblées, offrirent un vin d’honneur. Un bal fut organisé, ainsi qu’une partie officielle au cours de laquelle le Grand Louis fut nommé Roi des Loups à l’unanimité.
Il porta ce titre jusqu’à sa mort en 1877.
Pour souligner cet exploit, l’on mit sur son compte ce que Louis Favre raconta plus tard de Jean des Paniers, sur la façon de tuer le loup sans endommager la peau, et le Grand Louis, qui aimait la plaisanterie, s’aida lui-même à accréditer cette légende.
Voici une autre anecdote qu’il aimait à raconter.
Il gardait dans son enfance les chèvres de son père, de son oncle Joseph, et de ses cousins Chez le Conseiller, et les conduisait chaque jour sur la Côte.
L’été s’était passé sans que le loup ne fit aucune apparition.
Comme la nuit venait, – c’était son dernier jour au pâturage, – il rassembla son troupeau qui prit le chemin du retour.
Lui, content de sa campagne, le suivait en chantant, au lieu de sonner de sa corne de bouc comme la prudence aurait commandé de faire.
Tout à coup, comme il arrivait à la lisière du bois, au Champ de l’Epine, un loup énorme bondit hors d’une buisson et se jette sur sa plus belle chèvre.
Ce fut, comme on pense, un émoi général: chèvres et berger s’enfuirent dans la direction du hameau où ils arrivèrent dans un état facile à deviner.
Les parents et voisins étant accourus sur les lieux ne retrouvèrent rien: le loup avait emporté la chèvre et il fut impossible de retrouver ses traces.
Le loup, rôdeur et carnassier, était sinistre. Les pièges utilisés par l’homme à son encontre pire encore! D’autant plus que nombre d’autres animaux pouvaient s’y laisser prendre et y souffrir des heures voire des jours durant.
C’est dans cette circonstance qu’on aurait pu conseiller au futur Grand Louis la recette qu’il se plaisait à nous donner quand nous étions enfants, au cas où nous nous serions trouvés en face d’une de ces bêtes, dont le nom seul faisait notre effroi:
– Il faut, disait-il, lui fourrer ton bras dans la gueule, et pousser jusqu’à ce que tu attrapes la queue. Après tu n’auras qu’à tirer… et le loup s’enversera comme un bas de soie.
Une bonne vieille de la Combe disait que, dans son enfance, revenant un soir d’hiver des Piguet-Dessus (vers 1820), elle entendait un bruit qu’elle prenait pour celui que produit la glace du lac quand, sous l’action du froid plus vif de la nuit, elle se dilate et se fend.
Cependant, aux abords de la Combe, elle vit son père qui venait à sa rencontre et qui lui apprit que ce qu’elle entendait, c’était des hurlements de loups dans la montagne.
Les habitants du paisible hameau, sur le seuil de leur demeure, écoutaient ce sinistre concert.
Un beau matin même, ses parents constatèrent que deux loups étaient montés sur le toit pendant la nuit (car il y avait beaucoup de neige), et que l’un d’eux s’était dressé contre la cheminée pour regarder à l’intérieur.
Durant ce même hiver, Timothée Chez Moïset avait fait boucherie d’une vache avec son voisin le Grand Louis. L’opération terminée, sa femme, la Catherine, se disposait à regagner son domicile, mais elle rentra brusquement, disant avec effroi qu’il y avait deux loups sur le fumier!
Quand les hommes sortirent, armés d’un fusil, les deux bêtes regagnaient la Côte, emportant la panse dont elles firent sans doute un plantureux souper.
Une battue que l’on fit au-dessus des Aubert, où plusieurs de ces animaux avaient élu domicile, ne donna pas de résultat.
L’un d’entre eux passa pourtant à portée d’un citoyen des Piguet-Dessus qui le manqua: «Lou tsa a guila lou laou 2», dirent les chasseurs.
Un forestier prétendit quelques jours plus tard avoir vu dans ces parages une bande de sept loups. Cependant, ils disparurent peu après sans avoir causé d’autres dommages.
Il en resta le proverbe: «Epouairié coumai se l’avai vu lè sa laou daou boû dè z’Aubert 3.»
1 Extrait de la Revue historique vaudoise de 1923, tirage à part, pp. 38 à 40. Le titre est de notre fait.
2 Le chat a manqué le loup.
3 Effrayé comme s’il avait vu les sept loups du bois des Aubert.
David des Ordons