En filmant quatre générations de femmes de sa propre famille, la cinéaste Mai Hua signe un documentaire bouleversant sur la mémoire familiale.
En attendant de retrouver son public en salle, Ciné-Doc propose son film de février, Les Rivières, en ligne. Réalisatrice française d’origine vietnamienne, Mai Hua nous convie à une quête sur la mémoire de sa famille. Une immersion dans les vies et les blessures des femmes de sa famille, pour en parler, en rire et en pleurer, pour éviter de transmettre cet héritage à sa fille.
Voyage intime au long cours, Mai Hua livre un film bouleversant et universel sur «tout ce passé dont on hérite sans rien y comprendre».
Film autoproduit et autofinancé par la réalisatrice, Les Rivières voit le jour après 6 ans de travail. Le film est présenté en collaboration avec Tell me the Story et Sister Distribution.
Les Rivières, Mai Hua, France, 2019, 95’, VF, 16/16 ans
Visionner le film
Informations et lien pour voir le film sur www.cinedoc.ch.
Le film est proposé avec Filmingo, la plateforme suisse dédiée au cinéma d’art et d’essai.
Six questions à Mai Hua, réalisatrice du film Les Rivières (libre d’utilisation)
Comment est né ce film?
Il a plusieurs origines. Déjà, avoir filmé beaucoup de gens pour mon blog m’a donné la confiance nécessaire pour me lancer dans un long métrage. Puis j’ai eu une conversation décisive avec mon oncle quand je me suis séparée du père de mes enfants, qui me renvoyait à une supposée malédiction familiale féminine. Enfin, ma grand-mère est revenue vivre avec nous et j’ai voulu comprendre certaines zones d’ombre de l’histoire de ma famille, moi qui suis née à Paris et ai reçu une éducation très française tout en évoluant dans un univers métissé.
Quel est l’enseignement principal du film, pour toi et pour les autres?
Pour moi, l’enseignement principal, c’est qu’on souffre tou·te·s. La famille, c’est un lieu qui peut être très dangereux, je crois que toutes les familles sont dysfonctionnelles sauf que personne n’en parle. Les Rivières décrit les dysfonctionnements chez moi, mais ils font écho à ceux de tout le monde, car nous vivons tou·te·s dans un système de loyauté hyper bien ficelé malgré nous. La manière de guérir de tout ça, c’est de cultiver la relation à soi, c’est ce que j’ai essayé de faire en parlant à la première personne dans le film. Mais pour découvrir ta propre singularité, il faut la contacter et la connaître. Ce film est un film sur le fait de devenir adulte, de devenir ton propre parent. Je crois que c’est ce qui permet d’initier une transformation et de dialoguer avec ta famille.
Les Rivières, c’est surtout une histoire de femmes et de transmission via la maternité?
Les attentes que l’on a vis-à-vis de la mère sont énormes: il y a dès le départ cette idée de l’amour nourricier dont on a du mal à se détacher. Et puis, culturellement, on a du mal à voir que l’amour mère-fille se construit étape après étape. Ta mère, c’est aussi une personne qui a ses propres luttes, ses propres ignorances. J’ai compris que j’étais en colère contre ma mère puis j’ai compris tout ce qu’elle avait traversé, et enfin j’ai compris qu’en devenant médecin, elle avait dédié sa vie à guérir les autres. C’est après toutes ces étapes que j’ai renoué avec la personne qu’elle était et que j’ai réussi à créer une relation mère-fille sans nous réduire à nos rôles, en nous accueillant dans notre globalité.
«J’ai voulu explorer cette relation aux fantômes, à l’invisible.»
Y a-t-il une histoire vietnamienne dans votre lignée de femmes?
Bien sûr, mes deux parents ont grandi au Vietnam et sont arrivés en France à l’adolescence. Les Françaises sont toutes des exilées, toutes les familles ont connu un arrachement à la terre. J’ai voulu explorer cette relation aux fantômes, à l’invisible, il y a dans Les Rivières un côté très bouddhiste, de résilience, où l’on ne raisonne pas en bien ou mal mais plutôt en action/réaction, quelles sont les circonstances qui font que tout arrive. Le film est construit comme un appartement avec des chambres en enfilade. Tu avances, tu avances, jusqu’à la dernière chambre où tu retournes le dernier matelas, et là, il y a une porte que tu ouvres.
En quoi cette histoire est-elle universelle?
Tout le monde pense que le lien mère-fille va de soi, que c’est quelque chose qu’il faut cultiver. Or ma génération est issue de générations de parents qui n’ont pas appris à être parents. Mon film décrit en 2020 comment les gens ont traversé leur enfance, comment ils essayent de devenir adultes, surtout quand il s’agit de parents et grands-parents qui ont perdu une partie de leur humanité.
Quel conseil donnerais-tu à celles qui s’interrogent sur les malédictions familiales?
La malédiction, c’est essayer de comprendre ce qu’il y a derrière ce mot. En général, on l’interprète comme l’idée que l’on est le fruit d’expériences passées malheureuses voire tragiques. Comme si, d’une génération à l’autre, on se repassait un virus qui mute. Il faut comprendre quel est le virus, et accepter que tu n’es pas maudit·e parce que tu es l’antidote. Tu peux avoir été une partie du problème et en sortir, mais pour ça, tu dois changer tout ton fonctionnement. Alors, la vie devient bien plus belle et plus riche, plus sereine, plus liquide.
Propos recueillis par Myriam Levain pour ChEEk magazine, 8 juin 2020
Ciné-Doc