
En été 1870, la France déclare la guerre à la Prusse. Une intrigue diplomatique portant sur la succession au trône d’Espagne avait atteint Napoléon III dans sa fierté. Ceci aurait suffi à plonger son pays dans les affres de la guerre. Les causes réelles sont différentes, Napoléon III veut prouver la supériorité de ses armées sur celles de Guillaume 1er car la Prusse met en danger la suprématie militaire de la France en Europe.
Le roi Guillaume et son premier ministre Otto de Bismarck prennent cette déclaration de guerre avec calme. Elle leur paraît plutôt opportune dans la perspective d’une conquête de la France sous prétexte de la légitime défense. Les Prussiens bien disciplinés, font bientôt subir à leur adversaire défaites sur défaites. Il ne reste plus aux Français que l’espoir de freiner l’avance de l’ennemi sur Paris. Mais la machine de guerre allemande progresse inexorablement vers l’Ouest. Belfort tombe, les Prussiens encerclent l’armée du Rhin à Metz et l’obligent à capituler.
Les Allemands victorieux des ennemis qui les avaient provoqués bloquaient Paris. Pour faire diversion et, si possible, envahir l’Allemagne, le Général Bourbaki, a la tête de forces nombreuses, était venu de la Vallée de la Loire dans celle du Doubs. Son armée dite de l’Est, repoussée prés de Montbéliard, acculée à notre frontière, n’eut d’autre alternative pour échapper aux Prussiens qui la cernaient de deux côtés, que de se réfugier en Suisse.
Un spectacle navrant, 88’000 français découragés, exténués par la fatigue et les privations remettent leurs armes à des miliciens d’une république amie qui gardaient les passages des Verrières, de Sainte-Croix, et de Jougne. Les populations de la France voisine fuyant devant les Prussiens venaient elles aussi avec leur mobilier chercher un abri chez nous.
Cette guerre entre la France et la Prusse fut horrible et la froide saison aussi. Conduite par le Général Charles Bourbaki l’armée de l’Est avait pour mission d’attaquer les troupes allemandes qui s’étaient emparées de Belfort. Mais elle fut bientôt défaite et se replia vers le Sud avant d’être encerclée à Pontarlier. Les forces commandées par Bourbaki manquaient de nourriture et de vêtements, le Général lui-même tenta de se suicider le 26 janvier 1871 pour échapper à une dégradation humiliante.
Son successeur, le Général Clinchant mena ce qui lui restait d’hommes à la frontière suisse en essuyant de lourdes pertes. Là il demanda l’asile militaire au Conseil fédéral le 28 janvier 1871. La convention fut signée aux Verrières dans la nuit même par le Général suisse Hans Herzog, déposant armes, munitions et matériel à la frontière.
Au total, 88’000 soldats de l’armée de l’Est trouvent refuge en Suisse le
1er février 1871, pas moins de 180 localités les ont accueillis, le souvenir des internés est resté vivace pour longtemps.
Dans la région les soldats furent dirigés vers Le Locle 1000 soldats, 10’000 à la Vallée de Joux, 13’000 vers L’Auberson, 34’000 aux Verrières et 28’000 à Vallorbe.
Quelques centaines de cavaliers réussirent à retourner en France. Une dizaine de milliers d’hommes gisaient dans la neige. Jamais notre pays en général et Vallorbe en particulier n’avait vu ce qu’ils virent en janvier et février 1871. Vallorbe dès les 28 et 29 janvier plus de 200 voitures d’effets et de denrées, ainsi passèrent durant ces deux jours 28’000 hommes avec 4400 chevaux.
Où loger, comment nourrir dans un village cette foule de gens et de bêtes? On employa à défaut de chambres, le temple préalablement chauffé, les étables et les granges des maisons. Loger les voitures et les chevaux était impossible, on fut réduit à former deux parcs, l’un au bas de la Grande Fin et l’autre au Revinnoz.
La charité des Vallorbiers fut admirable, les particuliers distribuèrent du pain, de la soupe, des pommes de terre et du café. Les boulangeries travaillant jour et nuit ne purent suffire au besoin, il fallut faire venir plus de mille miches de pain depuis Lausanne. Les chaudières des fromageries servirent à faire la soupe, les hommes furent aussi bien soignés que possible. Les chevaux étaient beaucoup plus a plaindre car, à cause de la très faible récolte de 1870 on ne pouvait leur donner du foin, mourant de faim, c’est seulement après deux jours d’attente qu’ils reçurent un peu de son, d’avoine et de froment.
Comme tous les Vallorbiers, le chef de gare Chaulmontet vit l’arrivée de ces soldats et les huitante deux pièces d’artillerie de l’Armée de l’Est en déroute. Il prit l’initiative d’organiser pour que les deux compagnies du Jougne – Eclépens et de l’Ouest suisse puissent acheminer hommes et matériel à Yverdon, Lausanne et Morges.
Pendant ces quelques jours bien des misères de la France, cause de ses défaites, s’étalèrent aux yeux des Suisses. La paix fut conclue entre la France et l’Allemagne le 26 février 1871. Le
6 mars celle-ci approuvait le projet du gouvernement suisse réglant le retour des internés. Dès la mi-mars, six semaines après leur entrée en Suisse les soldats de l’Armée de l’Est regagnaient leur patrie. La gratitude des Bourbakis fut immense, les autorités suisses reçurent un flot de messages très touchants.
En Suisse des pierres tombales, stèles ou monuments rappellent aujourd’hui encore des victimes de l’hiver 1871. Elles auraient été plus nombreuses sans l’engagement, le premier dans un conflit, de l’organisation d’entraide qui deviendra la Croix Rouge. Le suisse Henri Dunant avait fondé le Comité international de la Croix Rouge (CICR) à Genève en 1863, sept ans auparavant. Sa mission était de dispenser des soins sans distinction.
L’initiative de Dunant venait à point nommé, sans elle la France vaincue n’aurait pu s’occuper d’un si grand nombre de blessés. La pensée humanitaire de Dunant prit, lors de ce drame toute sa signification et s’affirma dans le cœur des Suisses.
Le souvenir des Bourbakis s’étiole avec le temps, notre pays fort heureusement, n’ayant plus été confronté à un tel désastre et malheur.
C’était il y a 150 ans.
Roland Brouze
NB
A voir à Lucerne le Panorama Bourbaki, œuvre magistrale du peintre suisse Edouard Castres et au Brassus à la Thomassete un monument qui rend hommage à un soldat de Bourbaki.


Bonjour et merci pour votre article.
Je tiens à vous signaler la prochaine exposition sur l’épisode historique qui a vu la déroute de l’Armée de l’Est et son internement en Suisse en 1871 qui aura lieu de mai à fin août au château de Joux et au musée de Pontralier. Elle devait avoir lieu l’an passé mais a été repoussée en raison de la pandémie. Dans l’intervalle, le catalogue est toutefois sorti de presse. Son titre:
Au pays des Bourbaki, 150 ans de la retraite de l’armée de l’Est 1871
Toutes les coordonnées du livre se trouvent sur cette page:
http://www.laurentguenat.ch/fr-projets.html
Je reste à votre disposition pour répondre à vos éventuelles questions.
Merci de votre lecture et cordiales salutations.
Laurent Guenat
Quartier du Milieu 88, 2127 Les Bayards