Corrigez-moi si je me trompe: nous vivons un temps dominé par la peur.
Je songe bien-sûr à la pandémie… l’actuelle ou la prochaine. Le virus présent circule encore mais, si vous voulez mon avis, il a sa tête des mauvais jours et paraît mal en point.
Il provoque peu de symptômes, déserte les hôpitaux, et ne menace réellement que les personnes déjà atteintes d’autres pathologies, dont la mienne qui est d’avoir depuis longtemps l’âge d’être mon propre père. (Obaldia) L’agonisant – mais peut-être roué – virus se glisse dans les statistiques et se vante sans vergogne d’être l’exécuteur des basse œuvres, là où ce sont ses collègues qui ont fait le sale boulot. Mourir avec le Covid, ce n’est pas mourir du Covid.
Et bien sûr, nous avons peur.
C’est curieux, tout de même, ce nom de virus. On songe au latin «vir» qui désignait l’homme et qui a formé le mot «virtus»… qui signifie, entre autres, le courage. Et c’est précisément ce courage qui nous fait défaut puisque nous n’avons plus d’autre idéal que de nous protéger par des mesures dites sanitaires mais qui ressemblent plutôt à des rituels d’exorcisme de nos peurs.
Dans ses Essais, Montaigne note que la couardise est pire que la mort. Pour être précis, il la dit plus importune que la mort. Importune? En langage courant: plus embêtante, plus casse-pied, et Montaigne de relever aussi que «la peur redoute même ce qui pourrait lui porter secours». A méditer pour notre temps! L’auteur des Essais illustre son propos par l’exemple d’une bataille de Caius Julius Caesar – dit Germanicus – au cours de laquelle «deux grosses troupes prirent d’effroi deux routes opposites, l’une fuyait d’où l’autre partait.» On imagine la scène: du haut comique! Cela ne vous rappelle-t-il rien? Les uns fuient à gauche, d’autres à droite… et tous se retrouvent au même point: un point d’interrogation.
Ces rituels d’exorcisme de la peur, nous les pratiquons servilement, dans le seul but de nous bricoler quelque espoir de synthèse. L’espoir, note Paul Valéry est «une méfiance réflexe à l’égard de nos prévisions. Heureuse méfiance, l’espoir est un scepticisme. C’est douter du malheur instant.»
Puisque nous ne pouvons rien prévoir, l’espoir «exploite les moindres défauts de la connaissance que nous avons», ajoute Valéry.
Autrement dit, ne sachant de ce qui nous menace à peu près rien de plus que rien, nous nous rassurons par des rituels d’espoir.
Et cela vaut pour d’autres menaces qui nous effraient: Puisque il se pourrait que demain notre petit bout de ciel soit infecté d’ennemis – ces virus d’acier et de feu capables de traverser notre pays en moins de dix minutes –, il faudra bien brandir contre eux les masques de quelques chasseurs supersoniques. Personne ne sait d’où cet ennemi pourrait venir… de la Russie? De la Chine? Des USA, pourquoi pas? De la Macronie? De la Merckelie? Et guidé par quel dessein?
Bref, on ignore tout, donc il faut tout prévoir. Le principe de précaution, voilà l’idole!
Principe de précaution encore: si l’on s’avise de prononcer ce mot maudit de «souveraineté» – qui n’est qu’une manière de dire qu’on est responsable de notre coin de terre et de ceux qui y habitent – alors on déclenche de nouvelles avalanches de peur.
Devenir souverain chez soi pourrait activer les clauses dites «guillotines», ruiner l’économie, torpiller la recherche scientifique, bref, l’apocalypse.
En réalité, nous n’en savons rien, pas plus que nous ne connaissons ce dont le baillon nous protège, ni comment d’improbables vaccins nous sauveront, pas plus que nous ne pouvons prévoir comment quelques milliards en tôles d’acier empêcheront les méchants de nous assaillir.
On ne sait rien. On a peur. Et on bricole l’espoir.
Encore une illustration? On doit voter sur ce qui ressemble à une forme de protection des familles. Se basant sur des données identiques, mitonnées en statistiques irréfutables, les uns, à gauche, affirment que les mesures envisagées ne protégeront qu’une minorité de familles et les autres à droite que, tout au contraire, une majorité d’entre nous profitera largement d’une manne inespérée. Là aussi, chacun est sûr de son fait, alors que le seul sûr est que rien n’est sûr.
Ce qui est sûr, c’est que l’avenir continuera à faire son métier d’avenir… qui est d’être imprévisible. Soit on se laisse effrayer… et l’on se bricole d’artificiels espoirs, soit on «entre en soi-même armé jusqu’aux dents» (P. Valéry) et l’on devient fort de cette force intérieure que confèrent les biens que ne menace nulle menace.
Ces biens? La culture, l’art, la mémoire de la mort, l’intensité des relations humaines – et pas leur quantité – bref, l’intelligence qui, à défaut d’espoirs illusoires, pourrait bien nous conférer un petit rien de paix et de sérénité.
J-D Nordmann, L’Abbaye
Le mot «virus» nous incline à songer au latin «vir», l’homme, ㅡ écrivez-vous en substance. Mais ce n’est là qu’un songe!
En réalité, le terme «virus» fut emprunté au latin, en 1478: initialement, il signifiait «suc des plantes», «sperme», mais aussi «venin»; puis, par extension «poison». De nos jours, «virus» est susceptible de revêtir une acception métaphorique, synonyme alors de «passion dévorante»: «le virus de la philatélie», «le virus de l’étymologie»…