Cher Nicolas,
Comme toi, je me suis demandé quelle mouche avait piqué la Municipalité du Lieu lorsqu’elle a décidé de raser le large couloir qui grimpe entre les Roches Fendues. J’ai d’abord cru à une grossière farce. Et puis en regardant mieux l’article et les photos de Dominique Bonny, j’ai bien été obligée de me rendre à l’évidence: cela a bel et bien été fait et il s’en félicite! Ils ont «redonné son lustre d’antan et mis en valeur cette originalité naturelle». Euh… réfléchissons: Mettre en valeur la nature en enlevant de la nature…! J’ai sans doute l’esprit limité, moi pas comprendre le concept.
Parlons de ce lustre… On se retrouve avec un large couloir brun, nu, morne, très moche à mon avis. On voit mieux les rochers, oui, et alors? La nature aime s’habiller, se diversifier, s’enrichir au fil des ans. Il lui a fallu des décennies pour créer ce coin mystérieux, unique, devenu emblématique par son côté sauvage. Alors pourquoi ne pas le laisser évoluer naturellement, parfaire son précieux biotope en paix, lequel, comme tu le dis, ne demandait rien à personne. Ne gênait personne…
Quoique.
Tu sais quoi, Nicolas? je me suis laissé dire que la première raison de ce saccage était de rendre la vue aux maisons du Revers qui surplombent le Lieu. Elle est quand même sympa, la commune du Lieu, non? Des arbres vous gênent et hop, ils viennent vous les enlever.
Ah… Le lustre d’antan! Puisque c’est votre motivation officielle, communes de ma Vallée adorée (au Chenit et à L’Abbaye, on enlève aussi des arbres en quantités impressionnantes), j’ai quelques idées pour vous:
A l’endroit dit «Sur la Rose», on pourrait enlever toutes ces maisons qui gênent la vue, quand on arrive là de Petra Félix. Moi, la première fois que je suis venue à La Vallée, il y a bientôt 50 ans, c’est justement cette totale ouverture sur le lac qui m’a subjuguée et qui m’a donné envie d’y habiter!
ET puis, le canal de l’Orbe, franchement, quel manque de lustre en regard des méandres qui sillonnaient les champs, autrefois. Languissants, surprenants, émerveillants en toutes saisons. Recréons-les, comme ils font en Valais avec le Rhône, vous savez? En voilà une belle opportunité économique, en plus!
Ah oui!… On pourrait encore raser quelques verrues en forme d’usine qui entachent sérieusement le lustre de certains pâturages, non? Puisque maintenant on construit des monstres en plein village, enlevons ces cubes métalliques qui ont l’air d’avoir été lâchés au hasard par des extra-terrestres sans scrupules.
J’oublie sûrement des tas de possibilités de «lustrer».
Cher Nicolas, il y a encore un détail et pas des moindres: ces travaux à la Roche Fendue se sont faits au printemps, en pleine période de nidification! Je suis franchement déçue, car j’avais l’illusion que les forestiers faisaient attention à cela. Les saisons, la faune, la lune… Petite naïve.
Bon, aurons-nous un jour les vraies raisons de ce déboisement? J’en doute, mais je me laisse volontiers surprendre.
Je te tiendrai au courant, si jamais.
Amitiés.
Christine Monod