Oui, tu es en EMS, c’est difficile de te savoir là-bas et maintenant avec ce coronavirus, c’est comme si je t’abandonnais une nouvelle fois.
Oui, c’est un fait, nouvelles directives: les visites sont interdites, afin de vous protéger.
Mon cœur balance entre plusieurs sentiments: c’est bien il faut vous protéger de ce virus… mais, n’est-ce pas une autre forme de cruauté que de vous priver de visites?
Et si tu partais toute seule sans que j’aie pu te dire au revoir et te dire je t’aime, cela serait difficile pour moi.
Je veux chasser cette tristesse, et comme tu es très présente dans mon cœur, c’est avec plaisir que je me remémore nos balades à pied et à vélo qui nous menaient dans les forêts aux alentours… dans la recherche de l’hypothétique? On en passait du temps pour trouver ce champignon qui te donnait tellement de joie, comme une enfant devant son cadeau de Noël.
Les années ont passé… Et je suis toujours dans la recherche de ce champignon un peu mythique qui aura à jamais cette magie de ravir mes papilles!
Donc, en cette période de l’année, je me plais à imaginer l’histoire suivante: Nous voilà parties pour découvrir un de ces grands trésors gustatifs qui se nomme… morille.
Equipée de mon couteau muni d’une mini brosse, et toi maman, tu as au fond de ta poche le célèbre couteau suisse avec tire-bouchon et décapsuleur, prévoyante tu dis: «on ne sait jamais, cela peut toujours servir!» Trouver une morille, c’est déjà difficile…Alors trouver une bouteille de rouge? Imaginez un peu!
Nous redécouvrons nos coins, il faut absolument être les premières… et… si nous découvrons une morille, une petite… si petite soit-elle… c’est un profond dilemme! «Nous la laissons ou nous la prenons?… au risque de nous la faire chouraver!» Ce qui fait dire à certains: «mieux vaut une petite dans notre assiette qu’une grosse dans celle du voisin!» Dès lors, vous comprenez le dilemme!
Nous sommes un peu comme des détectives… Observer sans être vues! Quel défi, car nous ne sommes de loin pas les seules à être prises par cette soudaine addiction printanière.
Quand nous remarquons une personne, l’air de rien, nos yeux s’élèvent vers le ciel à la recherche de… je ne sais trop quoi, un oiseau? Ou des traînées d’avions? (l’exemple n’est pas bon, il n’y en a plus ces temps.)
Puis c’est reparti, nos yeux rivés au sol nous la cherchons… parfois elle se fait désirer, tellement elle est bien cachée, mais soudain… quand pointe son chapeau, c’est la joie, et je perçois que tu aimerais crier, j’en ai une… mais là aussi, tu restes discrète, tu dis simplement:
– J’en ai trouvé une.
– Ah oui! Montre-la-moi?
– Non, cherche la toi-même! C’est froid, cela devient tiède, froid, attention c’est chaud… regarde bien où tu mets tes pieds. Bouillant! Bravo tu l’as trouvée!
– Puis-je la couper?
– Pour cette première, laisse-moi faire.
– C’est un peu un rituel, bien l’observer encore sur son pied, la remercier de s’être laissée voir… et puis délicatement la couper, puis la déposer tout aussi délicatement au fond de ton petit sac en toile où nous espérons que d’autres iront la rejoindre… et là avec une pointe d’humour, tu dis: «il est bien mieux d’avoir un petit sac bien rempli qu’un plus gros à moitié vide!» N’est-ce pas?
Comme il se fait un peu tard, nous décidons de rentrer et là, tu sors un autre sac de ta poche.
– As-tu pensé à notre souper?
Les efforts ne sont pas terminés, nous cueillons des dents-de-lion. Quand je pense qu’il faudra encore les trier et les laver…
En attendant de te retrouver, je nous imagine chacune devant notre assiette de salade de dents-de-lion avec son œuf et ses lardons et là… tu prends ton couteau suisse pour y utiliser le tire-bouchon et ouvrir une bonne bouteille et trinquer à la vie et à notre santé.
Les croûtes aux morilles, cela sera pour plus tard… la saison vient de commencer.
Merci ma petite maman, de m’avoir fait découvrir cette nature si belle et généreuse.
J’espère que cette lettre fera resurgir des souvenirs bien trop enfouis dans ta mémoire.
Ta fille Corinne
Toute ma gratitude va au personnel des EMS. Je souhaite également du courage ainsi que beaucoup de patience aux résidents en attendant le déconfinement. J’ai également une pensée émue pour les épouses, époux et enfants qui sont privés comme moi de visiter cet être qui nous est cher.