Dans les années 60, le rêve des hommes était de devenir pilote de ligne et les dames, de les accompagner en tant qu’hôtesse de l’air. L’aviation avait une cote extraordinaire!
Dès 1955, la mise en service des avions à réaction «Comet» anglais met les constructeurs d’aviation en ébullition en Europe et en Amérique!
Si les accidents des Comet les font retirer du service, les «Caravelle» françaises, bi-réacteurs fiables et relativement économiques prennent la relève. Swissair, notre compagnie nationale les utilise largement, en collaboration technique avec la compagnie scandinave SAS. Ces 2 compagnies aimeraient étendre leurs réseaux au monde entier.
Consolidated, plus connue sous le nom de Convair, est une compagnie américaine qui a pris de l’avance avec son CV 880, un quadriréacteur moderne, près de 100 places. Convair USA en prête 2 à Swissair qui attrape le virus. Il faut dire qu’on avait beaucoup apprécié, en Suisse, les modestes Convair Métropolitain qui avaient remplacé les DC3 d’après guerre.
Le nouveau modèle Convair 990 arrive en 1962. On en est très fier, on en a commandé 6, en premier, avec SAS et Spantax (Espagne)! Un super avion, le plus rapide, 100 sièges confortables, 920 km/h en croisière, 990 km/h en pointe, qui vole 1000 km plus loin que ses concurrents Boeing 707 et
500 km plus loin que les DC 8-32! Nous sommes, pour quelques mois, les rois du ciel. Swissair doit les immatriculer en HB-IC et seule notre compagnie les appellera Coronado, un cri du cœur! Les pilotes sont très prudents avec leur bijou, le seul avion commercial qui s’approche du mur du son! Chaque mois apporte un nouveau record de temps battu entre les escales. Le virus est généralisé!
Suite et fin: Quand on reçoit le 8e et dernier Coronado, les temps ont déjà changé. Les autres avions ont plus de capacité, près du double, ils sont plus économiques et plus propres. On repérait un Coronado à la traînée noire qu’il laissait derrière lui et qui a fait croire plusieurs fois que l’avion était en feu! Puis les soutes n’arrivent plus à contenir le volume grandissant du fret aérien. Et il y aura cette catastrophe avec notre Coronado HB-ICD, le
21 février 1970. La bombe à détonateur à dépression explose dans la soute à bagages, alors que l’avion grimpait pour franchir le Gothard. Cette bombe était destinée à un avion d’EL AL absent, car les Israéliens avaient retardé tous leurs avions suite à l’attentat palestinien du même jour en Autriche. Les services secrets suisses, informés par l’Allemagne, n’ont pas averti Swissair, 2 heures avant le décollage! Notre compagnie a embarqué ce bagage mortel, pour rendre service, comme cela se faisait!
Les pilotes du Coronado arrivent à faire demi-tour 9 minutes après le décollage et veulent rentrer à Kloten/Zürich. Les commandes faiblissent et l’avion s’écrase dans une forêt près de Würenligen (Argovie); tout l’équipage, 47 morts à déplorer et entrée dans ce monde de tracasseries sécuritaires, compliquées et coûteuses!
Finalement seuls 37 Convair CV 990 seront construits et livrés dans le monde; 21 compagnies les utiliseront tour à tour.
Epilogue: Vu la rareté et la renommée de ces avions, le Musée des transports à Lucerne aimerait bien le mettre en vitrine extérieure. On prépare l’opération du transfert du Coronado HB-ICC, offert par Swissair de Zurich à Lucerne. On allège l’appareil au maximum en enlevant même les sièges qui voyageront par la route. On met un minimum de carburant dans l’appareil, assez tout de même pour retourner à Zurich si le pilote très expérimenté (et volontaire) ne peut pas se poser, pour cause météo, sur la (trop) courte piste de l’avionneur Pilatus à Stans! Mais la météo était bonne, ce jour-là! Notre Coronado HB-ICC rejoindra, sous la pluie mais sans dommage, le Musée des transports en traversant, le 2 juillet 1975, le lac de Lucerne sur un support flottant composé de 13 caissons de l’armée, assemblés pour supporter les 55 tonnes de l’avion. On a dû encore démonter l’empennage (la queue) de l’appareil pour passer lentement sous un pont de la ville. Les troupes du Génie de l’armée assurent un débarquement délicat, car il a fallu encore adapter les niveaux entre le lac et le terrain devant le Musée du transport!
Autre fin glorieuse pour un Convair CV 990: celui qu’emploiera encore pendant plusieurs années la NASA pour préparer son programme spatial!
G. Magnenat,
25 ans chez Swissair