Né au Pont, René Falquet a toujours gardé des attaches avec notre Vallée. Après l’enseignement au Sentier de 1954 à 1960, il a complété sa formation de musicien à Lausanne et La Chaux-de-Fonds en direction de chœur et orchestre et composition, enseignant ensuite aux Ecoles, Gymnases et Conservatoire de Lausanne.
Fondateur du Chœur de l’Elysée, grand chœur d’oratorio lausannois, il s’est révélé comme l’un des chefs de chœur charismatiques réputés en Suisse et en France, en interprétant la plupart des grands oratorios du répertoire, dont La Vallée a aussi pu bénéficier durant de très nombreuses années.
Comme compositeur, il a signé de nombreuses œuvres importantes dans le domaine choral, celui des cantates profanes, de la comédie et du spectacle musical.
«La Dame de la mer» est sa dernière œuvre créée récemment avec grand succès:
«Quintette à cordes, accordéon et percussions nous plongent avec enchantement dans l’atmosphère chaude ou glacée des fjords norvégiens, avec une musique, tantôt cristalline tantôt tourmentée, qui s’inspire notamment (parmi d’autres compositeurs) d’Edvard Grieg dont Le Matin a été composé pour la pièce de théâtre Peergynt, écrite précisément par Henrik Ibsen!» https://blogs.letemps.ch/philippe-le-be/
Nous reproduisons ci-dessous l’interview de René Falquet par Patrick Charles paru dans l’édition de septembre de «EN MOUVEMENT, Bulletin de la Fédération A Cœur Joie Suisse».
«La Dame de la Mer» devient un drame lyrique sous la plume de René Falquet
Depuis que René Falquet a pris sa retraite du mouvement A Cœur Joie auquel il a tant apporté, il n’est pas resté inactif, loin de là. Parmi ses grands projets, il en est un qui le titille depuis 2012 déjà! Du 31 octobre au
4 novembre prochains, il le verra enfin se réaliser.
Sur la scène de l’Oriental à Vevey, la Compagnie François Marin créera un opéra de chambre dont René a écrit la musique, «La Dame de la Mer». Au départ une pièce d’Ibsen dont François Debluë a tiré un livret, en redimensionnant l’œuvre, l’adaptant au langage musical, limitant le nombre de ses personnages.
René Falquet a bien voulu se prêter au jeu de l’interview. En voici l’essence, conscient que cela ne suffit pas à restituer les deux heures passées en sa compagnie…
P.C.: Quelles sont les origines de ce projet? Au cœur du drame d’Ibsen, le déchirement entre la passion et le devoir. C’est presque de l’ordre de la tragédie grecque, du mythe éternel, non?
R.F.: Du mythe éternel, absolument! Finalement les racines de la plupart des œuvres sont les mêmes. De la tragédie grecque? Aussi, sans doute, puisque le processus de réalisation du projet a passé par tous les écueils d’une odyssée! On pourrait dire en effet que les dieux se sont ligués pour contrecarrer celui-ci. Il trouve son origine en 2012. Ayant mis un terme à mon activité de direction, je pouvais me consacrer totalement à la composition. Dès lors l’envie d’écrire une musique pour une œuvre du grand auteur scandinave me poursuit. J’avais un peu l’idée d’une musique de scène. Je rencontrai Raoul Teuscher qui venait de monter Le Revenant d’Ibsen. Il me suggère alors de m’atteler à l’écriture d’un opéra sur une œuvre du dramaturge qu’il serait prêt à mettre en scène. Je prends contact avec François Debluë qui se met à l’écriture d’un livret. Les grandes lignes de cet opéra se dessinent rapidement, nouveau contact avec Teuscher qui dit apprécier, mais ça n’avance pas, incompréhension de part et d’autre. On veut «construire» d’un côté alors que de l’autre on veut «déconstruire»! Le projet finit par capoter et sombre dans le tiroir des oublis. Nouveau contact est pris en 2015 avec Gérard Demierre qui est emballé par l’idée. Les bases sont rapidement posées. Ce sera chez Barnabé avec l’utilisation de l’orgue de cinéma. Le train est sur les rails. Mais une semaine plus tard, Gérard Demierre, atteint dans sa santé doit renoncer. Et la Dame de la Mer reste une fois encore sur le bord du chemin! Le troisième essai est cette fois en passe d’être transformé.
P.C.: Ecrit-on la musique d’un opéra de la même manière si le texte nous vient du nord comme celui-ci ou sur un texte d’un auteur plus latin?
R.F.: La Vallée de Joux qui m’est chère n’est pas si différente des fjords scandinaves! Le pittoresque se voulait d’inspiration nordique. Le sentira-t-on?
P.C.: Comment s’est passé la collaboration avec le librettiste?
R.F.: Il a eu les coudées franches. J’ai simplement demandé que soient ajoutées des pièces où plusieurs voix se mêlaient.
P.C.: Ce n’est pas la première œuvre «lyrique» de Falquet! On pense bien sûr à tout ce que tu as écrit pour ACJ (Noé, par exemple). Mais aussi à la musique d’opérette que tu as composée. Mais n’est-ce pas la première fois que tu utilises le terme d’«Opéra»?
R.F.: Opéra de chambre! A la période classique, les chambres étaient «grandes» (sourire!) Opéra veut dire «œuvre»! Donc… c’est sans doute un opéra de chambre, même si je peux aussi l’appeler drame lyrique.
P.C.: La pièce d’Ibsen est placée sous le signe de la «dualité»: passion/devoir – terre/mer – passé/présent – imaginaire/réalité… La composition musicale est-elle aussi placée sous le signe de cette dualité?
R.F.: Oui, mais sans vraiment l’avoir voulu. Cela s’est imposé…
P.C.: Le sujet de l’histoire est sombre. La musique l’est-elle aussi?
R.F.: Non, je dirais plutôt qu’elle est nostalgique. Il y a aussi des passages ironiques, moqueurs, grinçants. Il y a des moments de tendresse aussi. Le final devait être plus léger, mais il a été abandonné, l’auteur du texte et le metteur en scène l’estimant peu en phase avec le sens du drame…
P.C.: Peux-tu développer tes références à Lars von Trier et à son film «Melancolia»?
R.F.: Ce film est traversé par la musique du prélude de Tristan. C’est un leitmotiv. Il suffirait à lui seul à créer le suspense. J’ai utilisé ce procédé pour évoquer la mer et ses vagues, métaphores du Marin. Il intervient aussi au retour de ce dernier, comme le ressac. Un leitmotiv pour la mort aussi, toujours omniprésente… Elle est là. On la sent errer.
P.C.: Penser «cinéma» quand il s’agit d’imaginer des couleurs musicales est-ce une évidence pour un René Falquet? Au-delà de sa vocation lyrique, ton œuvre a-t-elle un côté bande originale de film?
R.F.: Les images, toujours les images… Même sans les voix, ma musique se tient; elle a un côté cinématographique!
P.C.: Le choix de l’Oriental pour un opéra… Ce n’est pas une scène trop petite?
R.F.: Non, il s’adapte bien à un opéra de chambre.
P.C.: Je vois que l’action se déroule dans différents lieux scéniques? Comment cette difficulté est-elle traitée par la scénographe?
R.F.: Elle a prévu une zone de jeu libre sur le devant de la scène (1/3 env.), puis la terrasse d’une maison, des transats. On ne joue pas à l’intérieur. Les lieux sont plus suggérés que représentés. L’orchestre quant à lui est surélevé en fond de scène.
P.C.: Quelle instrumentation?
R.F.: Un accordéon (la mer, le marin obligent) sous les doigts experts de Stéphane Chapuis, un quintette à cordes et des percussions.
P.C.: Et la distribution?
R.F.: 6 acteurs chanteurs. Parmi lesquels Stephan Imboden, Bertrand Bochud, par exemple. Je travaille actuellement avec Pascale Güdel qui accomplit un gros travail -actrice plutôt que chanteuse-, pour assumer ce rôle lyrique.
P.C.: L’Oriental, puis le Théâtre de Valère à Sion, enfin Le Brassus. Une tournée plus large est-elle envisagée?
R.F. : Elle pourrait voir le jour, mais les contingences sont nombreuses!!!
P.C.: S’il fallait trouver le slogan, l’accroche qui fera se déplacer le public vers Vevey, lequel proposerais-tu?
R.F.: Je dirais: Omar Porras a déplacé les foules au TKM pour découvrir ce drame d’Ibsen. Venez écouter sa version lyrique à l’Oriental!
P.C.: Que voudrais-tu ajouter, René?
R.F.: Ma musique a presque toujours été écrite pour des projets précis: Noé ou Exode pour ne citer que des réalisations des Grands Ateliers ACJ. Dans tous les cas, il s’agissait de musique vocale avec accompagnement. Les exécutants étant des chœurs de chez nous, mon écriture a tout naturellement subi l’influence d’illustres aînés… J’ai peut-être abusé d’archétypes, mais ils me semblaient seuls aptes à exprimer ce que je ressentais.
Dans La Dame de la Mer c’est différent: il n’y a pas de chœurs et les passages instrumentaux sont très nombreux. C’est aux auditeurs de dire si «l’exotisme» nordique m’aura permis de me renouveler.
Patrick Charles