Punaise, ce que l’on est bien fait, j’ai mon réveil interne qui me pousse hors du lit à 6h30… comme si dans ma vie rien n’avait changé.
Vite à la salle de bains, mais non, tu peux prendre ton temps, tout ton temps.
Je n’ose pas même me regarder dans le miroir, je dois me faire violence pour regarder cet autre qui est là en face de moi, j’esquisse quelques grimaces, histoire de rigoler. Mais, je ne me reconnais plus, des yeux vides, pas l’ombre d’une petite lumière pour éclairer ce regard. Bon, je pense à quelques situations drôles qui me font rire, car j’ai le rire facile et le sens de la dérision aigu! Aujourd’hui, je peux dire avait et faisait. Machinalement, je prends ma douche, me sèche, me rase, m’habille comme si j’allais sortir. Ah non, je reste là ce matin! Mon vieux training fera l’affaire.
Je vais à la cuisine, enclenche la radio, me coule un café, me fais une tartine, deux tartines avec une bonne couche de beurre et étale la succulente confiture de mon ex-femme. Des framboises de notre jardin, de son jardin.
Je me surprends là, la tête reposant entre mes mains appuyées sur la table de la cuisine. Je savais que cela allait arriver et j’en suis presque soulagé. Mais tout de même pas de cette façon-là. Bien sûr, il y en a eu d’autres avant moi, mais on se dit souvent, que c’est «seulement» pour les autres et que cela ne peut pas me concerner.
On m’a dit monsieur, avec un «m» minuscule, nous allons vous trouver des postes occupationnels, afin que vous restiez dans le système.
Fort bien, je me retrouve payé par le chômage à travailler comme employé, homme à tout faire dans des écoles, et ceci à 100%. C’est pas mal me direz-vous!
Mais où cela peut-il me mener? Cela ne prolonge pas même mon chômage…
Je n’ai plus beaucoup de temps pour chercher des emplois? Vous en cherchez moins, ce n’est pas grave…
J’en suis où aujourd’hui? Toujours dans ma cuisine, à triturer ma tasse de café, bue depuis un certain temps déjà!
Des nuits d’insomnie, je connais cela depuis plusieurs mois, se renouveler, être plus efficace, avoir du rendement et bon sang collaborer…
Comment collaborer avec ces robots? Robots intelligents! Robots dotés d’une intelligence artificielle! J’en perds mon sang-froid! Je n’en peux plus, je me demande que veux dire humain, humanité?
Je ne sais plus, par contre, je sais ce que veut dire restructuration, restructurer. Cela veut dire que vous êtes licencié, je suis licencié… licencié en fin de droit.
Je fais partie des oubliés des statistiques du chômage, oui, je suis maintenant dans la case «aide sociale».
J’ai oublié quelque chose d’important, j’ai plus de 50 ans.
Qui pouvait se méfier, cela a commencé par cette machine, vous mettez des sous et vous choisissez, café, thé, chocolat chaud etc… Ce n’est plus le travail de la jeune apprentie, elle a mieux à faire!
Et les machines sont venues remplacer petit à petit les ouvriers, plus performantes donc plus de production…cela me fait penser au film de Charlie Chaplin. Les temps modernes. (à voir ou à revoir absolument).
Mon sang n’a fait qu’un tour, quand la réceptionniste a été remplacée par un robot du type féminin!
Mon sang a bouillonné et je l’ai faite voler…
Ah, quel sentiment de joie, je dirais même de jouissance quand elle s’est éclatée sur le sol et que son sang, non, que dis-je ce qui faisait ses entrailles s’est éparpillé dans le hall. On a retrouvé encore longtemps après des vis du plastique, et tout ce matériel informatique qui lui permettait de dire bonjour, comment ça va? De sa voix monocorde… C’est une belle revanche tout de même? J’en suis assez fier!
D’ailleurs mon combat aujourd’hui est de faire la gueule à toutes ces machines dites intelligentes… enfin, presque toutes! Par exemple, dans un grand magasin, je vais payer mes courses vers la caissière, il y a souvent la queue, mais, j’ai le temps… Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais on nous a maintenant souvent à l’usure….
Abuser de notre temps, de notre patience et je vous dis pas, quand on est déjà mal, que l’on doit aller chercher ses ressources au plus profond de soi… Ce que cela donne? On bâche!
Et non, je ne veux pas bâcher….qu’est-ce que cela va donner quand le porte-monnaie du quidam sera vide, produire pour qui? Pourquoi?
Je dis à mon entourage, mais arrêtez de vous acheter toutes ces conneries qui consomment du jus. Mais c’est un peu comme les trahir, nous avons travaillé, nous y avons droit!
Quand j’ai le sang qui me monte à la tête, j’ai envie de tout casser!
Tout casser ces centrales, pourvoyeuses de cette précieuse manne qui est l’électricité!
L’électricité est le moyen de transport de l’énergie, que voulons-nous faire de cette énergie aux mains d’humains parfois peu scrupuleux!?
Le sang dans mes veines, moyen de transport pour tout mon être et en plus doté de sentiments: se faire du mauvais sang, se faire un sang d’encre, c’est ce qui fait notre humanité. Devons-nous choisir: sang ou électricité, il y a des compromis à faire… mais ne soyons pas les cons auxquels on a promis!
Je vais réfléchir à la question pendant que le sang coule encore dans mes veines et que ma machine électrique me coule un bon café.
Corinne Rochat,
participante au cours de Blaise Hofmann,
écrire une nouvelle dans le cadre de l’UPVJ (Université
Populaire Vallée de Joux)